New York, aujourd'hui : un meurtre vient d'être commis au sein de la société Print'Ellect, travaillant sur un procédé révolutionnaire permettant, à termes, de se passer de l'artiste typique de l'industrie classique du média : l'encreur, connu pour, plus ou moins talentueusement, passer à l'encre le travail des dessinateurs... L'inspecteur Bill Erwin, à deux doigts de la retraite, est chargé de l'enquête. Lui qui est un amateur sincère de comics vintage se trouve affublé d'un partenaire de presque trente ans de moins, l'ineffable Terry, grand échalas pas vraiment porté sur ces choses là... Interrogeant les principaux protagonistes du milieu, vont-ils démêler le mystère de cette mort?...
"Terry était atterré d'assister à quelque chose d'aussi profond, appuyé sur un sujet aussi trivial."
Cette citation, extraite de la nouvelle de Philippe Cordier, illustrée par Thierry Martin, colle bien au ton de ce récit plein d'humour. Car si l'ambiance installée par ces deux flics que tout oppose apporte son lot de situations pince sans rire, qui rappelleront le meilleur des polars seventies (américains ou français), il est d'abord question ici d'un hommage absolument sincère, crédible et bien vu, d'un auteur lui-même amateur reconnu de l'encrage, à des héros et un milieu qu'il admire. Philippe Cordier lit en effet des comics depuis ses jeunes années, celles des heures de gloire des éditions Lug en France, et a, assez rapidement, abordé la lecture en VO, écrit dans des fanzines, interviewé des auteurs, été invité pour des conférences, s'étant entre temps spécialisé sur la technique de l'encrage, pour lequel il a auto édité des revues spécialisées limitées, puis créé un blog spécifique : Phil & Co. (1)
Dans Sang d'encre, il s'en donne à cœur joie, rendant hommage à tous ses héros. Des plus gros : Timeless Comics, Direct comics, Big Pictures, (noms changés, bien sûr, avec humour), ou l'indépendant IFY comics, éditant des beaux livres de scans de planches vintages (suivez mon regard...) ; en passant par des auteurs, que l'on croise face à leur planche à dessin, (Joe Jemas, Kirk Coburg, lui-même dessiné sous les traits de mister Cordier himself...et là encore sous des noms rigolos "hommage"), ou cités entre deux lignes (Will Eisner, qui d’autre !?), des personnages secondaires dont le nom a été à peine remplacé (bel hommage au jeune Matt Murdock), ou des personnages célèbres de comics, apparaissant malignement sous forme de dessins, copyright oblige. (Daredevil, Batman, Elektra, le caïd…). Même la revue Strange est citée. Autant dire la crème des marottes de Philippe.
Revisitation d'une scène culte de Daredevil...
C'est justement la connaissance précise du milieu qui permet à l'auteur d'instaurer cette ambiance et ce décor si réalistes, tellement typiques avec lesquels des millions d'amateurs, qu'ils soient plutôt DC, Marvel ou indépendants sont familiers. Surfant donc sur ce terreau riche, il plante avec talent son intrigue et surtout son dénouement si bien vu, tel un autre inspecteur bien connu, au regard oblique et au pardessus. C'est à dire avec beaucoup de malice et de respect, instaurant au passage une tonalité dramatique familiale bienvenue entre père (Bill) et son fils. On en redemande, et justement, une suite est prévue : "La couleur du silence" (2) Peut-être juste une toute petite réserve concernant l'édition, par ailleurs très agréable, avec son dos carré collé et ses rabats: la police de caractère utilisée : un chouilla trop grosse. Avouons cependant que c'est "sang conséquence", d'autant plus que les dessins souples et bien contrastés de l'excellent Thierry Martin, artiste tip top sur ce premier exercice purement comics révèlent parfaitement le sel de cette histoire "noire". Bon Sang ne saurait mentir !
FG
(1) Phil & Co : https://philcordier.blogspot.com/
(2) L'auteur et l'éditeur annoncent aussi une nouvelle création : un super héros masqué façon Dead Devil, dans Pardonnez-moi mon père (ou Rédemption).
Sang d'encre, par Philippe Cordier et Thierry Martin
Éditions Komics initiative (15 €) - ISBN : 9782491374167