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samedi 13 novembre 2010

Bajram, le shaman de l'IS*

Bajram, destructeur d'univers
Thierry Bellefroid (entretiens)
Soleil
Octobre 2010

Denis Bajram, né en 1970 a été mondialement reconnu (1) avec son chef d'oeuvre d'anticipation en 6 tomes "Universal War One", publié chez Soleil de 1998 à 2006. Au delà de sa qualité scénaristique, cette série a montré une technique de colorisation numérique en avance pour l'époque (2).
Avant cela, son auteur avait publié les deux tomes de Cryozone chez Delcourt, autre récit de science-fiction de qualité, scénarisé par Thierry Cailleteau (série Aquablue). On se reportera à sa bibliographie complète sur Bedetheque.

Dans ce livre d'entretiens fleuve (240 pages tout de même), Thierry Bellefroid a été à la rencontre d'un homme au caractère bien trempé et à la culture féconde. On y parle Bande dessinée bien sûr, mais aussi beaucoup politique, religions, et milieu de l'édition. C'est ce qui fait la richesse du livre, par ailleurs abondamment illustré.

On peut y remarquer quatre grandes parties :

La première sur l'enfance et l'adolescence, jusqu'à la page 63 environ, bien que pas la plus intéressante pour les amateurs, explique les qualités (et défauts) bien particuliers de l'auteur en devenir : comment il s'est formé au sein d'une éducation catholique rigoureuse; sa passion pour la science fiction et ses accointances politiques avec l'extrême droite, tout comme son leader ship envahissant. Ce sont d'ailleurs ces deux derniers points qui laissent le plus perplexe le lecteur, même si on comprend alors mieux les relations difficiles que cela a pu engendrer au fil du temps.
Les nombreuses illustrations accompagnant cette partie apparaissent parfois comme de trop. Il n'était en effet pas indispensable à mon avis de reproduire autant de dessins d'enfance pour comprendre la précocité (pas spécialement exceptionnelle ceci dit) et l'évolution de l'artiste.

La deuxième partie concerne la formation professionnelle avec les Beaux arts de Caen (2 ans) et surtout les Arts décos de Paris, qui lui ont vraiment permis de se spécialiser dans les techniques informatiques qu'il utilisait déjà. C'est là aussi que se situent ses travaux pour les fanzines, dont Scarce et le Groinge, où son caractère de leader commence à s'affirmer (et énerver certains).
C'est à cette période qu'il rencontre Jean Marc Lainé, qui lui ouvre les portes de l'édition grâce au fanzine Scarce. Mathieu Lauffray aussi, copain des Arts déco et auteur du "Serment de l'ambre" à l'époque qui lui présente Guy Delcourt.
Ce sera l'introduction au projet Cryozone.

La troisième partie est consacrée à LA série de Bajram : UW1. L'occasion de parler de la relation qui l'unit depuis à son directeur Mourad Boudjellal, et du projet d'éditeur dans lequel il s'est lancé avec sa femme : "Quadrants solaire", département indépendant des éditions Soleil.

Enfin, à partir de la page 171 : "Misanthropie et entropie", Denis Bajram s'attache à nous donner sa vision/définition de l'auteur, des médias qu'il affectionne (bande dessinée et informatique), et de l'avenir de l'humanité en général. Une partie vraiment intéressante où l'artiste, se décrivant lui-même comme un Shaman, développe une philosophie de la vie où l'homme n'est qu'un serviteur de puissances divines : les machines.

On citera à ce propos, page 178 : "Pour ma part je pense que l'on crée actuellement nos remplaçants. Nous allons laisser la place à autre chose. Des machines. Les formes de vie numérico-mécaniques. Il n'y a aucune raison pour quelles ne deviennent pas intelligentes. Ces "êtres" sont réparables, immortels et voyageront dans le vide pour coloniser le système solaire. "

ou, p.196 : "(...) Je fais partie de cette deuxième catégorie (les Shamans).
Quelques uns meurent rapidement (...) les autres survivent et apportent quelque chose d'énorme au village : la distance. Ils sont à l'extérieur. Donc ils voient où va le groupe; (...) Ils sont prêtres, sorciers...ou shamans.

A la question : ils vivent donc aux crochets du village ? Bajram répond :
"C'est vrai, on leur offre des bananes pour qu'ils remplissent cette fonction. C'est ce qu'on fait en achetant mes livres et en participant aux droits d'auteur. Et moi, je suis le shaman qui en retour prédit l'avenir car c'est l'essence même de la science-fiction". (..)

Enfin, le final propose de s'arrêter sur le projet en cours du couple heureux formé par Denis et Valérie Mangin : "Les trois christs", où Denis développe une technique de colorisation numérique encore plus moderne et naturelle (révolutionnaire ?)

En bref, un livre peut-être un peu trop bavard dans sa première partie, mais qui vaut largement le détour ne serait-ce que pour l'hommage qu'il rend à un auteur moderne exceptionnel, et ce, de son vivant.


* : "L'illustration séquentielle" : appellation utilisée par Bajram dans ces entretiens à propos de la Bande dessinée.

(1) Denis a été approché par Joe Quesada, directeur littéraire de Marvel en 2005 et sa série UW1 est publiée depuis 2009 en anglais.
(2) Voir à ce propos son interview sur CanalBD

2 commentaires:

  1. C'est une belle monographie, en effet, et elle est déjà dans ma bibliothèque.

    Ce long interview permet par ailleurs de mieux comprendre le dernier album de Bajram (Trois Christs). C'est un livre assez ambitieux et original. Je te le recommande ;-)

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  2. Merci Raymond pour ce commentaire. En effet, "Trois christ" m'interpelle aussi je pense que je ne vais pas me faire prier pour lire (voire l'acheter.)
    Bajram a ça pour lui qu'il n'hésite pas à aller de l'avant sur des séries dites "classiques". Il innove sur des sujets en plus intéressants, et c'est bien.

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