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lundi 20 janvier 2014

Snowpiercer : changer à un prix.

Snowpiercer
Bong Joon-ho
2013

Vu hier in extremis, (en VO dans une salle Art et essais), le dernier film du célèbre réalisateur de « The host* », adapté de la fameuse bande dessinée "Transperceneige" de Lob, Rochette et Legrand.
Paru dans un premier tome en 1984 chez Casterman (et prépublié dans A suivre dés 82), ce récit étrange de science-fiction noir et blanc scénarisé par Lob et d’abord dessiné par Alexis, décédé au bout de seize pages (…), était apparu comme une sorte d’ovni dans le paysage bdphile d’alors. Non pas que l’on ai pas lu de récit étranges jusqu’à alors.
Moebius
et les auteurs de Metal hurlant entre autre avaient bien ouvert la voie dans les 70’s, et la revue A suivre n’avait pas été avare non plus de bizarretés (remember: « Ici même » …)

Jean Marc Rochette, repreneur du dessin, n’a, il me semble, en ce qui le concerne, jamais vraiment eu le succès qu’il aurait pu mériter, avec des récits comme « Himalaya vaudou, Requiem Blanc », ou le « Dépoteur de Chrysanthèmes »... mais, sans doute son style noir et gris très personnel (pouvant parfois évoquer Varenne) a peut-être trop oscillé entre réalisme et humour (voir les personnages animal de la série « Edmond le cochon », ou d’autres titres tels « Panique à Londres »..) pour bien accrocher le lectorat.

Le dessin gras et rond de Rochette

N’empêche, ce Transperceneige avait marqué les esprits, et il faudra attendre 1999 pour qu’une suite soit donnée en deux tomes à ce pavé dans la mare, car Lob décède en 1990.
C’est Benjamin Legrand, autre complice scénariste et réalisateur qui offre un final à ce dorénavant triptyque. Mais l’histoire du livre est déjà compliquée, et de l’eau passe sous les ponts.

Bong Joon-ho, réalisateur coréen, et amateur de bande dessinée repère en 2005 dans une boutique coréenne le roman graphique et décide d’en proposer une adaptation. Fort de ses succès consécutifs avec The Host et Mother, il faudra attendre néanmoins 2010 pour que le projet se mette vraiment en branle.
Il sera tourné en 2011 en république tchèque avec un casting anglo-coréen étonnant : Tidla Swinton, vue récemment dans Narnia, maquillée à outrance avec un dentier lui donnant l’apparence d’une vieille peau revancharde et idiote, Chris Evans (Curtis, le héros), récemment vu dans Captain america, Song Kangho et Ko Asung; déjà vus en père et fille dans the Host, John Hurt (Gilliam, le vieux « sage » pas si sage de la queue du train), Jamie Bell (Edgar, le jeune comparse de Curtis), bien connu pour son rôle marquant de Billy Elliot, et Ed Harris, l’infâme Wilford, inventeur de ce train fou.
Des scènes à l'esthétique travaillée

Le réalisateur a cependant averti qu’il n’en ferait pas une adaptation trop fidèle, souhaitant développer des idées personnels autour de ce train  sensé représenter l’humanité, répartie en compartiments, dans un véhicule lancé à grande vitesse dans un décor apocalyptique de nouvelle ère glaciaire, suite à de malheureuses expériences climatiques.
Mais les amateurs du roman graphique ne seront pas déçus.

Certes, les arpenteurs du récit papier, ces hommes en combinaison matelassée qui doivent régulièrement sortir à l’extérieur pour voir ce qui se passe n’ont pas été retenu dans l’adaptation. Certes, l’idée du second train qui arriverait en sens inverse, sur ce parcours de plusieurs milliers de kilomètres en boucle durant un an, et qui permet à Wilford de maintenir un semblant d’ordre et de crainte a été purement remplacé  par une dictature d’extermination systématique (les fameux 74% d’équilibre).
Mais dans l’ensemble, la trame est plutôt bien respectée, et la morale est sauve, voire même différente.

Dans le livre, Curtis est plus seul, et beaucoup plus « intégré rapidement aux nantis, qui essaient de l’utiliser, malgré eux; tandis que dans le film, il est chef de la rébellion, et il faudra attendre la toute fin pour qu’il soit tenté par le maître de la machine. (On  note d’ailleurs que dans la bande dessinée, il n’y pas un mais au moins deux maîtres, dont un fantoche (un robot dont les messages passent en boucle sur un écran), et un survivant qui mène l’ancienne machine, qui a été récupérée et arrimée à la deuxième dans le plus grand secret).
Le pouvoir seul, c'est une dictature

Pas de véhicules volants sortant non plus dans le film : on reste confiné à l’intérieur jusqu’à la toute fin. Mais l’angoisse n’en est que plus forte, et à ce titre la scène de rencontre entre les rebelles et la milice noire, armée de haches et cagoulée est plutôt sombre et froide. Bong Joon-ho, distille un courant d’air très glacial à ce moment là, avec un silence et des gestes révélateurs qui fond circuler un frisson dans l’échine.
Le fait que les lumières soient ensuite éteintes, par le passage du train dans un tunnel rajoute à cette ambiance.
74%  : ce qui doit rester !


On notera aussi l’aspect beaucoup plus développé de la vie à l’avant du train, vie qui avait été quasiment éludée dans la bande dessinée.
Baignoires, salons de thé, de lecture, école (fameuse scène d’endoctrinement avec une maîtresse clownesque à souhait : (Alison Pill : une charge contre l'éducation telle qu'on la vit aujourd'hui ?), boîte de nuit et drogues à volonté… le confrontation est abrupte et non dénuée d’humour.
L’idée de la drogue, qui servira au final d’échappatoire, est aussi une très bonne idée.

Une arche où la vie animale est davantage respectée que la vie humaine

Autre scène magnifique : celle de l’échange de tirs à travers les vitres du train, lors du passage de ce dernier dans un virage. En dehors de l’aspect purement photogénique (passage sur un pont d’une centaine de mètres), l’idée offre avant tout une dynamique rarement vue. C’est à ce moment là que le réalisateur amène aussi un indice (supplémentaire) sur l’éventuelle issu du film : un flacon de neige qui traverse une vitre impactée.
On reconnaît là la poésie des réalisateurs coréens, et on y reviendra, mais un studio Hollywoodien ne nous aurait certainement pas proposé ce genre de détail.

Et l’on arrive logiquement à la fin, qui, à mon sens, manque un tout petit peu de tension.
J’aurais souhaité que Curtis soit un peu plus fragile à ce moment là, pour pouvoir un peu mieux « entendre » l’appel de Wilford à prendre sa place. Certes, on nous a révélé sa fragilité issue de ses débuts à l’arrière du train (et là encore, Bong Joon-ho ajoute le détail de la vraie survivance avec l’aspect cannibalisme, je crois, non évoqué dans le roman graphique). Et si la dichotomie qui s’opère à ce moment là à entre lui (qui redevient un pion), et Namgoong Minsu et Yona, qui eux, luttent plus que jamais pour leur survie donne à voir le dilemme de personnalité et de temps (faire vite, et prendre une décision), on se trouve dans une scène longue et un peu confuse, débordée en cela par l’apparition des night clubers « zombies » (car drogués), et du méchant  «"Terminator" (qui ne meure jamais).

N’empêche : le réalisateur retombe sur ses pieds en optant pour le bon choix : celui de l’issue fatale, et de la mise à mort du héros, telle que dans la bande dessinée.
A un détail près : il offre une fin en deux temps, avec, et c’est le beau geste : une morale supplémentaire :

Dans une société en crise, où la (sur)vie est basée sur l’injustice et tourne en rond, il existe peut-être une issue, si l’on accepte de souffrir et de changer ses habitudes, quel qu’en soient les sacrifices. Il faut tenter, pour découvrir ce qu’il y a « ailleurs »; ...mais cela à un prix.

En 2014, en France, comme partout ailleurs d’ailleurs dans le monde, ce genre de message ne pourra manquer de parler aux spectateurs les plus attentifs.

(*) The Host, de 2006 : superbe film où le réalisateur revisite le thème du Gozilla de belle manière.
La folie des hommes crée en effet un monstre difforme via ses déchets marins. Celui-ci d’abord léthargique et handicapé, arrive sur terre à cause d’un suicidé qui devient sa nourriture, et affolé, se réfugie dans des égouts. Il enlève une fille…


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