Une femme nage au milieu des flots noirs, suivie (apparemment) par un autre individu, féminin semble t-il, avec qui elle converse, mais que l'on ne verra pas, cachée par les vagues, jusqu'à ce que "la bouchère" comme elle se surnomme elle-même, aborde un rivage abandonné. Sans doute se parlait-elle à elle même. Ce n'est pas la chose la plus étrange que l'on va découvrir au long de ce récit.
Déballant de son corsage et de sa tenue à fraise datée XVIeme siècle, un lot de petits couteaux, elle les examine lorsque survient un animal bizarre, tenant autant du mouton que du lion. Voulant l'occire afin de le manger, ce dernier l'en empêche, arguant - car il parle - qu'il n'est pas comestible. Tout deux vont se mettre en marche au milieu de la nuit et rapidement croiser la route, d'abord de deux pêcheurs pas très futés, (un peu "aveugles"* !?), puis d'un moine de la sainte Inquisition. C'est là que vont, pour tous, commencer les vrais problèmes...
Jeanne Puchol, lorsqu'elle aborde cet étrange récit, a déjà un beau parcours d'autrice de bande dessinée, débuté en 1983 avec Ringard aux prestigieuses éditions Futuropolis (ancienne formule). Elle cumule une dizaine de bonnes publications et des récits ou dessins dans la presse et les fanzines. D'ailleurs, cette bouchère a connu un début de prépublication dans PLG, un des doyens des fanzines hexagonaux encore en activité alors, dans ses numéros 36 et 37 de 1999. L'album Chimères publié cette même année a aussi déjà évoqué cette ambiance de fable onirique, ainsi que le même genre d'animal façon "Agnone" de Guido Buzzelli (Voir ce titre). Si Paul Claudel est cité dès les premières cases d'un récit oscillant entre plaisir littéraire, (par le biais d'autres citations bien choisies et d'une verve fleurie), fantastique et dénonciations diverses, on y verra aussi l'hommage à des maîtres de la bande dessinée tels Buzzelli donc, mais aussi la folie douce de Fmurr, tant cette bouchère pourrait être une Jehanne. (Les fameux moutons "des alpages" ne sont-ils d'ailleurs pas présent dès la couverture ?)
On pensera aussi, dans cette Castille perdue dans le temps, à Cervantès, tant l'âne de la couverture, en portant deux autres sur son dos, évoque son Don Quichotte. Abordant à la fois les thèmes du féminisme, de la religiosité, de la bêtise, des croyances, du pouvoir, des syndicats (les guildes ici)... thèmes tenant à coeur de l'autrice ; faisant jongler les mots avec malice et talent, Jeanne Puchol nous régale de plus d'un trait noir fluide rappelant par moment le grand Alexis, et d'un encrage succulent. Les scènes du début, dans les vagues, et celle du théâtre à la fin du premier tome étant à cet égard d'une richesse prodigieuse.
Certains à l'époque ont pu trouver à redire de ce diptyque, par manque de sensibilité et sans doute à cause d'un bagage culturel insuffisant ; je gage cependant qu'à s'y repencher, beaucoup d'amateurs y trouveront une originalité peu comparable et une source de joie certaine. Culte donc !
FG
(*) Référence aux "Aveugles" de F'murr (Casterman 1992, pré publié dans la revue ...A suivre !. Voir aussi sa série BD culte Le génie des alpages (Dargaud, 1976-2007)
Haro sur la bouchère et la bouchère au bûcher, par Jeanne Puchol.
Éditions L'An 2, 2003 et 2004.
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