mardi 14 janvier 2014

Parce que j’aime les bandes dessinées (...)

1ere apparition du Silver surfer en France :
Notez la traduction limitée.
  J'ai eu la chance pour mes quarante ans, il y a donc une poignée d'années, :-) de me voir gentillement offrir, par une collègue de travail (et amie), un ouvrage dont je ne connaissais pas l'existence, et qui m'a râvit.
On n'aurait pu me faire alors davantage plaisir, car je ne m'y attendais pas du tout.

Il s'agissait d'une édition (familiale je suppose, très bien conservée), des "Chefs d'oeuvre de la Bande dessinée", éditions Planète, 1967, gros bouquin au format A5 de 480 pages sur papier épais (!!) étonnamment réalisé.
Celui-ci propose une anthologie de la bande dessinée, européenne et américaine, avec, et c'est le truc vraiment original qui n'a à mon sens jamais été reproduit depuis : des reproductions de planches complètes de nombreuses séries, sur 10 pages parfois (!), en noir et blanc et en couleur, entre chaque chapitre.


La présentation était déjà intéressante pour l'époque (quoi que le milieu était en pleine professionnalisation, tout comme la critique qui s'organisait, ainsi que les festivals*), avec des chapitres/thématiques au demeurant cassez "classiques" : "Les farceurs, les Surhommes, les héros, les animaux, les insolites", ..mais avec une diversité et une qualité de reproduction inégalée en France.

Jugez par vous même : on y trouvait à côté de BC, ou les Pieds nickelés (épisode fameux de la première guerre mondiale), du Ec comics (Starlight, Overlooked, About face, Monster rally), avec Angelo Torres, Wallace wood, ... du Jack kirby en couleur (avec la première apparition du Silver surfer recensée en France), (pages 151 à 160), du Blueberry, du Barbarella, du Poivet et les Pionniers de l'espérance (et l'incontournable épisode du jardin fantastique), du Burne Hogart grande époque (8 planches), du Franquin en couleur, du Gillon, ...  Mandrake, le Spectre, Superman et les fourmies, Flash Gordon, Jodelle, Prince Valiant, Illico, Popgo, Alley OOp... et j'en passe.
Un des rares absents : Gasoline alley de Frank King.

L'idée ici n'est pas de vous donner à lire sans lire
ce magnifique livre, mais à démontrer combien il a su passer l'épreuve du temps, et combien, 47 ans après, il reste toujours aussi agréable à parcourir et à lire.
Chaque notice de tête de chapitre étant rassemblée et présentée par Jacques Sternberg, Michael Caen (responsable éditorial dans Creepy et Eerie, tout s'explique pour les Ec !), et Jacques Lob, excusez du peu.
Quand à la préface, personne d'autre que... René Goscinny. 
...Son texte valait tellement le détour, que je vous en propose en extrait (long je vous l'accorde, mais c'est pour la bonne cause. Il fait 4 pages en tout) :

 (*) 1965 : Festival de Lucas, (Italie) premier festival de Bande dessinée européen (et mondial), suivi par celui d’Angoulême en 1974.

--------

(…) Parce que j’aime les bandes dessinées; je les aime même au point d'en faire mon métier.
Etrange métier en vérité, que celui qu'exercent des hommes sérieux en apparence (mais en apparence seulement), qui, pour gagner leur vie, racontent des histoires à l'aide de petites images et de ballons remplis de texte. Mais c'est aussi un beau méfier, puisque, pour chaque auteur de bandes dessinées, représente la réalisation d'un rêve d'enfant.

Nous avons tous, en effet, commencé par tracer les traditionnels petits dessins en marge de nos cahiers d’écolier; plus tard,nous avons refusé d'écouter les conseils des gens raisonnables, qui nous engageaient vivement à choisir des professions honorables.. Mais aux diplômes et aux pignons sur-rue, nous avons préférées nous faire les chantres des petits bonshommes, qui font « bing ! » en tombant.

Il faut accepter des sacrifices, quand on veut réaliser un rêve d’enfant, et la bande dessinée est un métier aussi prenant que difficile, où l’amateurisme est impossible. Nos petits bonshommes n'acceptent de vivre - et de nous faire vivre, par la même occasion -, que si nous nous occupons d'eux pendant, de longues, heures, tous les jours. Sinon, ce sont eux qui nous laissent tomber, bing!

Donc, si dans un quelconque endroit de villégiature, vous remarquez un monsieur, qui, au lieu d'être sur la • plage comme tout le monde, travaille enfermé dans sa chambre, d'hôtel, il y a des chances pour que ce soit un dessinateur qui a cédé aux objurgations de sa femme excédée-« Cette année, bandes, dessinées ou pas, nous partons en vacances!» Il est là, le malheureux, et il soupire en entendant les cris joyeux qui montent de la plage. Il souffre, se lamente,et se demande pourquoi il a choisi d'exercer ce fichu métier. Et vous savez ce qu'il fait, notre pauvre dessinateur, pour se détendre un peu? Il trace des petits dessins en marge de ses dessins !

Il semble donc évident que notre métier nous passionne. Et quand nous nous réunissons, avec la ferme décision de ne pas parler boutique, malgré tous nos efforts la conversation revient vite aux mérites comparés de la plume et du pinceau, du papier à grain et de la carte à gratter, des petits bonshommes qui font « plouf! » et des petits bonshommes qui font « bing ! » Et puis, bien sûr, nous aimons lire les bandes dessinées.
Mais nous sommes des passionnés raisonnables, et nous préférons un bon livre ou un bon film à une mauvaise bande dessinée. (Il y en a; elles ne figurent peut-être pas dans cette anthologie, mais il y en a) Cependant, et cette lapalissade faisait, il y a peu, figure de déclaration révolutionnaire, nous préférons une bonne bande dessinée à un mauvais livre ou à un mauvais film. (Il y en a aussi.)
Red Superman, avant Superman Red (son)
De belles pages de garde, rigolotes.

Pour nous, la bande dessinée est avant tout un moyen d'expression qui en vaut un autre, mais qui a l'avantage de nous convenir parfaitement. Et à ceux qui disent: «A cause de vous, les gens perdent l'habitude de lire, parce que du texte, il n'y en a pas lourd dans vos petits ballons», il est facile de répondre finement que la qualité d'un texte ne se juge pas au poids. Sinon, le travail des critiques serait exagérément simplifié, et ils seraient tous d'accord pour reconnaître que la qualité littéraire de l'annuaire téléphonique de Paris est infiniment supérieure à celle de l'annuaire de Maubeuge, par exemple.(Que les Maubeugeois me pardonnent; c'est la quantité qui est en cause, non la qualité, je le rappelle.)

Curieuse destinée que la nôtre, d'ailleurs, depuis quelques années assimilés par certains à l'idiot du village, comparés par d'autres à Victor Hugo ou à Balzac" « Il assassine son épicière parce qu'il lisait des bandes dessinées !» titrent les uns, pendant que les autres prennent nos petits bonshommes pour sujet de leurs thèses universitaires.

Si nos adversaires ne nous inquiètent pas trop, il faut avouer que certains de nos amis nous font un peu peur. Nous, auteurs de bandes dessinées, ne sommes jamais des exégètes. L’analyse de nos œoeuvres nous plonge tour à tour dans la stupéfaction, l'hilarité, et même, parfois, la colère. Dans la confusion, aussi, et je pense à tel de mes confrères que l'on félicitait pour le trait hésitant d'un de ses dessins, en y voyant je ne sais plus quelles intentions métaphysiques, alors que lui se souvenait parfaitement de la magistrale gueule de bois qui avait momentanément perturbée sa maîtrise habituelle. (…)

(© Gosciny, extrait de la préface de "les Chefs d'oeuvre de la Bande dessinée", éditions Planète, 1967.)

Aucun commentaire:

Mes autres chroniques cinéma

Mes autres chroniques cinéma
encore plus de choix...