dimanche 14 octobre 2018

Dilili à Paris : Michel Ocelot nous chante une belle époque pas si rose...

Dans cette nouvelle oeuvre ambitieuse et très réussie, Michel ocelot reprend les éléments qui ont fait son succès : une histoire originale bien écrite, où l’aventure et les scènes d’action sont nombreuses. Des décors superbes, des couleurs en feu d’artifice, et, encore davantage que d’habitude, de très nombreuses références culturelles. Il truffe aussi intelligemment son récit d'alertes sur les dérives de notre société, tout en s'autorisant quelques anachronismes...

Michel Ocelot, bien évidemment connu pour ses précédents chefs d’oeuvres de films d’animation : « Kirikou et la sorcière » (1998), ou « Azur et Asmar » (2006), pour les plus célèbres, n'avait rien proposé depuis 2011 et « Kirikou et les Hommes et les Femmes ». Ce dernier long métrage avait pourtant reçu un succès considérable (un des meilleurs films de 2012 selon Allociné et Wikipedia).

L’action de ce nouveau film explosif se déroule à Paris en 1931 lors de l'exposition coloniale (voir paragraphe suivant) et c’est l’occasion de croiser, dans des décors belle époque de toute beauté, les plus célèbres figures masculines ou féminines de l’époque : Sarah Bernardt, Marie Curie, Claude Debussy, Antoine de Toulouse Lautrec, Degas, Renoir, Monet, Emma Calvé, Suzanne Valadon, Aristide Briand, Edward VIII ….

Louise Michel, Sarah Bernardt et Marie Curie

Dilili est une petite Kanak d’une dizaine d’années, qui a été amenée à Paris, (on le devine plus que cela nous est expliqué lors de la scène d’introduction), afin d’animer le jardin d’acclimatation, avec d’autres membres de sa « tribu ». Cette première scène surprend déjà d’entrée, et fait écho au superbe documentaire  « Sauvages au coeur des zoos humains », diffusé par Arte le 28 septembre. https://www.arte.tv/fr/videos/067797-000-A/sauvages-au-coeur-des-zoos-humains/

Une manière pour Michel ocelot de donner le ton de son film, avec un message que l’on devine en filigrane, comme si le réalisateur lui-même nous avait avoué : « si nous allons passer un bon moment ensemble dans un film que j’ai voulu pour adultes et enfants, sachez que je ne laisserai pas de côté la triste réalité qui existait alors en France et en Europe ».


Cette scène est cependant vite évacuée (trop vite?), et le jeune Orel, livreur en triporteur, qui a repéré la jolie demoiselle, lui donne rendez-vous le soir à l'extérieur du jardin. De là va découler une enquête extravagante où il s'agira de démanteler le réseau des Malmaîtres, association de malfaiteurs procédant à l'enlèvement de petites filles.

Le fait que Dilili puisse ainsi devenir une héroïne, en dehors du jardin, apparaît en soit comme une situation assez improbable en réalité, d'autant plus que la demoiselle est habillée en princesse, parle un Français lettré, (elle aurait eu Louise Michel comme professeure), et se déplace en carrosse. Si c'est une manière pour le réalisateur de bien montrer (ou plutôt démonter) la triste réalité d'alors, où l'on fait passer des kanaks (donc des français) pour des sauvages, réduits à jouer des scènes quotidiennes dans un village « traditionnel » reconstitué, cela marque plus sûrement le début du film dans son aspect fictionnel, et onirique. Dés lors, on comprend (à la toute fin), après avoir suivi les aventures merveilleuses, quoi que rocambolesques de Dilii et ses amis, que tout cela n'était pas vraiment réel, et permettait de mieux faire passer la pilule, pour les publics enfants que nous sommes tous…


Mais, au delà de ce « détail » qui a son importance, Michel ocelot, s'il réussi à nous entrainer dans un récit d'aventure exaltant au coeur des quartiers les plus symboliques de Paris (la butte Montmartre, la place des Vosges, l'opéra, les égouts…) ne manque pas de truffer son film de points où son engagement humaniste ressort avec force. On note en particulier la dénonciation de l'esclavagisme et la place des femmes dans la société (terribles scènes dans les égouts avec les « quatre pattes », faisant immanquablement penser au sort réservé aujourd'hui aux  femmes dans l'état islamique, ou la corruption des élites et de la police.

Des scènes de toute beauté, aux symboles marquants...


Il est aussi particulièrement réjouissant de se délecter de la présence de toutes ces figures constituant l'élite culturelle et scientifique d'alors, (un patchwork saisissant permettant de se faire une culture rapide pour pas cher, et d'aller se renseigner ensuite), et de les voir s'entre aider et aider les plus démunis, dans une cause dépassant leurs propres intérêts. La morale du film est donc encore une fois admirable, même si la fin, en apothéose, comme souvent chez Michel Ocelot, détourne un peu l'attention. On peut en effet, dans ce que cette scène a d'exceptionnel et d'artificiel (1) imaginer qu'elle témoigne cependant de la différence entre le côté fictionnel du film et la triste réalité quotidienne que nous ne devons pas oublier de regarder.


Michel Ocelot fait de l'enseignement culturel et politique pour les plus jeunes publics, (il était enseignant d'ailleurs avant d'être réalisateur) et ça, c'est exceptionnel, même si l'on ne manquera pas de noter quelques anachronismes, comme la présence de Gustave Eiffel, qui reçoit les héros du film dans son appartement de la Tour Eiffel, alors qu'il est mort en 1923, ou celle, plus « symbolique » d'Aristide Bruant, au Moulin rouge, alors qu'il est décédé en 1925 (!). Cela n'est anachronique que si l'on considère la présence de kanaks au jardin d'acclimatation (1931), mais le film est cela-dit censé se dérouler durant la Belle époque (fin du XIXeme siècle – 1914). Que cela ne vous empêche par d'amener voir ce film à vos enfants, et d'en discuter avec eux !

(1) Un concert dans le dirigeable illuminé comme pour Noël, avec tous les enfants retrouvés à bord, en stationnement dans les airs au niveau du restaurant de la Tour Eiffel

Consulter le dossier pédagogique du film : 



Franck GUIGUE



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