samedi 4 janvier 2020

« Blueberry : Amertume Apache T1 » : un automate peut en cacher un autre.

Événement  de cette fin d'année 2019, ce nouvel album de la série Blueberry fait polémique. Fallait-il autoriser deux blanc becs à reprendre l'a série  culte d'un auteur sacralisé de son vivant et donc devenu "intouchable" depuis sa mort?  Rares sont les sites,  spécialisés ou non,  qui n'ont pas vu se déchaîner les commentaires, au mieux désabusés,  au pire haineux,  souhaitant que jamais l'on ait touché au commandeur. D'autres font un point bienvenu (1)

Pour ma part,  en lecteur régulier et fan de la série depuis mon enfance,  c'est à dire grosso modo 1978, je ne vois pas là sacrilège,  mais plutôt un hommage assez bien rendu,  par deux auteurs d'une génération (la mienne en fait) ayant réalisé un bon boulot,  honnête, au sein duquel le plaisir est suffisamment au rdv pour que l'on ai envie de lire une suite.







"Amertume  apache" commence sur les chapeaux de roue, avec une situation de voyeurisme,  auquel nous avaient assez peu habitué ses créateurs Michel Charlier et Jean Giraud.  Blueberry,  sorti de guerres avec les Apaches, (l'album s'insert dans le premier cycle "Fort Navajo",  on le comprend),  cherche un peu de calme et se positionne avec son cheval sur une hauteur du désert. Étrange attitude et situation,  tout comme les dialogues,  que l'on va vite  appréhender dans le jargon de son auteur intérimaire Joan Sfar, que l'on connaît pour sa culture (juive, intrinsèquement ) et son humour potache. Les trois lascars : Bimhal, ("celle qui est pure",  en indien,  si on enlève le H) Simeon (son frère), et Arad (Jarad ? ) vont,  à cause d'un jeu de "guerre des sexes"  finalement bête mais assez commun, déclencher une catastrophe (provoquer en fait un double crime, même si la légitime défense pourrait sans doute être invoquée, c'est tout le problème de cette scène d'introduction) puisque les deux victimes, jeunes femmes apaches,  nécessiteront la vengeance de leur tribu. On l'a compris,  le pauvre Blueverry,  d'abord incrédule  et peu aidé dans ce premier acte,  va avoir fort affaire ensuite afin d'aider les militaires à éviter autant que possible une guerre sanglante dans la région.




La première  chose m'ayant frappée au niveau du dessin,  noir et blanc charbonneux dans l'édition limitée que j'ai achetée,  c'est le lettrage,  décontracté,  peu commun dans ce genre de western classique,  qui a cours généralement davantage dans les bandes Poisson pilote du dessinateur que sur la série régulière. Un détail que je ne parviens cela dit pas à relever à nouveau en deuxième lecture,  comme quoi... 

Par contre,  je note un dynamisme remarquable dans les cases,  avec une nervosité  dans le trait et les enchaînements,  faisant des pages 8 et 9 par exemple une bonne accroche de l'album.  L'humour toujours présent,  cela dit - et c'est une marque je crois ici -  comme la scène des pages 11-12-13 où notre lieutenant se fait avoir comme un bleu.  Mais en même temps,  ne l'est-il pas encore un peu,  eut égard à sa longue carrière à venir ?


Je ne m'arrêterai pas sur les visages de certains personnages,  féminins en l’occurrence,  auxquelles Brigitte Bardot et Claudia Cardinale ont prêté leurs traits (miss Mc Intosh, belle fermière et Ruth Tyreen,  ex petite amie du lieutenant,  et femme malheureuse du lieutenant  colonel Benjamin Tyreen,  du fort Navajo, là encore un clin d’œil à Richard Harris responsable de fort dans "Major Dundee", de Sam Peckinpah, qui porte ce nom). Notre héros ayant lui-même, c'est bien connu,  été créé d'après Jean-Paul Belmondo, tout cela n'est que clins d’œil de fans des sixties et hommages en retour. On sera davantage bouleversé par cette relation amoureuse que l'on ne connaissait pas à notre lieutenant myrtille. "Mais d'où vient-elle ?" s'interroge-ton , persuadé que Guffie Palmer était l'un des plus anciens flirts de notre lieutenant (voir "la Piste des Sioux"). Un des éléments charmants (craquants) de cet album, et une piste que l'on souhaiterait voir creusée.

Sans doute l'automate contre lequel le responsable du fort se frotte est il aussi un autre élément intéressant,  apportant la petite touche historique à ce récit,  pourtant situé en pleines guerres indiennes,  ou plutôt leur fin,  et objet des retrouvailles avec Mc Clure,  pas vu depuis belle lurette dans là série, et d'avec le soldat Jenkins,  reprenant les traits de Woldy Strode célèbre sergent Rutlege dans "Le Sergent noir " de John Ford (1960), entre autre.
Kleinman, quant à lui,  s'il n'a sans doute pas vraiment  existé, permet d'animer de belle manière les scènes se déroulant au fort, les planches montrant ses automates servant de catalyseur ou de médiateur à tous ces hommes,  perdus au milieu du désert, et tentant d'échapper à quelque chose ou quelqu'un. (L'alcool, le désespoir, un mariage foireux...) Cela ne m'étonnerait pas que la suite nous apporte quelques révélations goûteuses sur cet élément iconoclaste.

Les mineurs,  dont sont issus les jeunes cons,  nous sont présentés faisant partie d'une communauté  difficile,  où la figure du patriarche en impose, et semble attiser la mèche de la discorde. Quant aux Apaches, persuadés d'être dans leur bon droit,  et bien que plus vraiment  en position de force,  vont s'attacher à retrouver les coupables,  s'engluant dans des raids sanglants,  divisant davantage leur propre camp. Une macro société en ébullition, plutôt bien rendue, et développant quantité de sujets, résonnant fort aux oreilles du lecteur d'aujourd'hui. Féminisme, harcèlement, communautarisme, racisme, éducation brutale, patriarchie, on ne peut s’empêcher de penser à "L'Homme qui tua Liberty Valance"
...Joan Sfar a réussi son pari : traiter intelligemment de notre société, au cœur d'un western, reprenant par là-même le savoir faire de certains des meilleurs réalisateurs du médium. Finalement, plutôt que singer Jean Giraud, ne valait-il pas mieux s'inspirer de John Ford ?

La fin de ce premier tome nous montre un Blueberry bien plus sombre, car (enfin) chargé du poids d'une lourde mission,  et devant composer avec plusieurs antagonistes,  prêt à tout, car eux-mêmes à cran.  Que demander de mieux, qu'un suspens de cet acabit, à un western si Fordien ?

FG


A noter, ce mois de janvier, la parution du numéro  10 des cahiers de la bande dessinée, avec un gros focus sur le dernier Blueberry, et un dossier (entre autre) : « Pourquoi le western est-il indémodable ? »

(1) A lire, un papier assez sympa de Tewfik Hakem (France culture), daté 12 décembre, sur les reprises en BD :



« Blueberry : Amertume Apache » par Joan Sfar et Christophe Blain.
Éditions Dargaud (15€ édition couleur simple, 
ou 19,99 € en plus grand format noir et banc.)

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