
Avant de savoir ce que proposait cette salle à son origine, il faut bien entendu connaître le rapport avec le nom qu'elle porte. Le résultat d'une enquête menée tambour battant il y a peu à l'occasion d'un travail d'animation basé sur les salles de musique "célèbres" (et un peu moins donc), a permis de rassembler ceci :
Claude Marie Victor Jotillon était un avocat du barreau de Roanne, né en 1846 à Coutouvre, et décédé à Roanne en 1911 (et non 1885, comme écrit par erreur par l'abbé Jean Canard dans son livre Roanne Pas à pas). Les informations de sa présidence de l'Harmonie roannaise (puis dite "de Roanne") en 1911, ne pouvaient correspondre (voir entre autre la photo ci-dessous, tirée du livre d'Olivier le Bret La musique en pays roannais), tout comme sa nécrologie complète, trouvée dans le Journal de Roanne de la même année. Il fut aussi président du concours agricole, et membre honoraire de l'Union fraternelle et patriotique des combattants de 1870-71 de la ville de Roanne, fondée le 7 août 1887. (1)
On sait, par les archives de la ville de Roanne, que l’Harmonie Roannaise réclame en 1891 une salle de répétitions suffisamment éclairée pour pouvoir répéter deux fois par semaine.
Nécrologie de M. Victor Jotillon
Extraits du compte-rendu de ses funérailles, tiré du Journal de Roanne.
Elles ont eu lieu à
Vichy samedi 16 septembre 1911, de dix heures et demi à une heure
passée. "Elles ont été belles. - Combien plus belles, ont remarqué
tous ceux qui y ont assisté, elles auraient été à Roanne !
C‘est à Roanne que Jotillon aurait eu du monde.
Il y en a
eu. Surtout des roannais, bien entendu. Malgré le temps étouffant,
écrasant, insupportable, assez de roannais avaient fait le pénible
voyage de Vichy pour qu’on puisse dire que ce Roannais, dont Roanne
s’honore, a eu, à Vichy, des funérailles roannaises (...)
« Né à Coutouvres en 1846, d’un famille modeste, il avait d’abord fréquenté les écoles de cette localité ; de là, il était entré au collège de Roanne où il fit de fortes études et en sortit bachelier. (…)
Dés sa sortie du collège sa route est tracée. Sa vocation s’affirme. Il suivra cette carrière où si rapidement il doit devenir un maître. Résolu à n’entrer au barreau qu’après avoir acquis toutes les connaissances nécessaires. Il entre dans une étude d’avoué, et y accomplit une consciencieuse cléricature. Déjà du reste il avait réglé sa vie comme une procédure bien produite ; l’ordre était pour lui une élégance et la méthode une parure. Il se fait inscrire à la Faculté de droit de Paris et en juillet 1870, il est reçu licencié. Il songe a débuter quand la guerre éclate. Douloureusement, il écoute les angoisses de la patrie et part la défendre. Mobile de la Loire, il fait la campagne d’abord comme sergent puis comme officier payeur. Il accomplit avec méthode ses difficiles fonctions et apporte à ses hommes le soutien de son autorité morale et de sa sérénité philosophique. (…)
La paix signée, il prête serment et débute enfin. Ce fut une révélation. A la fois brillant orateur et dialecticien serré, le jeune avocat conquit les suffrages de tous : les causes affluèrent. (...)
En 1878, il est élu pour la première fois bâtonnier, il a trente deux ans, sa réputation s’étend chaque jour d’avantage. Durant les 33 années où il va rester au barreau, ce ne sera qu’une longue suite de succès et d’honneurs. Il est appelé huit fois au bâtonnat et fournit un travail écrasant. (…)
(…) Éclairé par deux fenêtres, son cabinet se montre étroit et encombré. Au milieu des tableaux, des objets d’art et des livres, c’est là que nous verrons toujours Jotillon, assis devant son bureau surchargé de dossiers. (…) Dans le silence de ce cabinet, il mesure les adversaires du lendemain et discute leurs arguments ; il juge les juges et c’est là qu’il imagine ces systèmes si ingénieux et si habiles, ces thèmes si subtiles et si irrésistibles. (…)
Ajoutez à cette
admirable facilité de parole, ce langage correct, précis, rapide,
se prêtant à tous les élans, cette ironie si fine, ce verbe si
fort. N’est-ce pas le portrait du parfait avocat ? Mais Jotillon avait
quelque chose de meilleur encore : c’était le cœur. Ceux
qui ont eu avec lui commerce d’amitié pourront dire tout le charme
qui émanait de lui, toute l’attraction qu’il inspirait (…)
Il continua de plaider avec la même verve jusqu’au jour où, en
pleine audience, il tombait terrassé par une syncope.
L’avertissement était trop net : on lui défendit la barre,
on l’obligea au repos. Il vint un jour nous faire ses adieux. Nous
le vîmes arriver un peu pâle ; sous une apparence riante il
voulait déguiser son angoisse, mais sa voix tremblait, son regard
avait des larmes. Les épaules lourdes et la démarche lente, il
quitta ce palais qui l’avait vu quarante ans lutter superbement
pour le droit et l’équité. Quelques mois après il était emporté
dans une dernière attaque. Quelle noble vie, messieurs ! »
(Discours de Monsieur
Joseph Jacques, bâtonnier.)
Puis le capitaine Denis a parlé au nom des anciens combattants (de 1870-1871).
Après ces discours, écoutés dans un poignant silence, les assistants se sont retirés, non seulement navrés de la perte de cet ami très cher, de cet homme remarquable, de cet excellent roannais, mais navrés aussi qu’il repose là…
Mr Victor Jotillon laisse dix mille francs à l’Hospice de Roanne.
Le 23 novembre 1913, p. 2/4 du Journal de Roanne, on peut lire :
"La salle Victor Jotillon. La bonne pensée ! L'harmonie roannaise a décidé de donner à la salle de répétitions et d'auditions qu'elle est en train de faire construire, le nom de Salle Victor Jotillon. Au moins le nom du grand avocat roannais sera inscrit quelque part à Roanne. Et l'Harmonie aura rendu à sa mémoire un hommage durable et mérité. Si elle le peut, c'est à madame Victor Jotillon (2) qu'elle le doit. La veuve de notre ami a mis à la disposition de la Société la somme de cinq mille francs."
On imagine l'inauguration de la salle prévue en 1914, mais on pert sa trace durant le conflit mondial éclatant alors. C'est encore un article du Journal de Roanne qui va nous en donner des nouvellles, le 26 décembre 1920.
Extrait de l'article reproduit ci-dessous, nous permettant de constater que monsieur Jotillon écrivait aussi de l'opérette à l'occasion. Ici, l'opérette l'Epreuve, composition de Raoul Chassain, nom bien connu des roannais, datée janvier 1866, et plus bas, un dépôt de la partition daté 1894 à la BNF :
(… « l’Epreuve, l’oeuvre plus aimable et plus jeune que jamais, de MM Victor Jotillon et Paul Chamussy, mise en musique par Raoul Chassain. L’interprétation fut savoureuse à souhait. Les acteurs Mlle Viyon, MM. Borelli, Patain et Dubuis, n’ont pas seulement chanté très congrûment les notes, ils ont joué leur rôle comme s’ils avaient fait ça toute leur vie. Aussi ont ils été longuement applaudis. Et le compositeur, monsieur Raoul Chassain, qui assistait à la répétition, a été l’objet d’une fervente manifestation de sympathie. »
Ci-dessous : compte-rendu de l'opérette lors de sa première représentation roannaise dans le journal parisien La semaine musicale du 8 février 1866.
...La salle va ensuite perdurer dans ses fonctions premières durant plus de quarante ans, et les archives de la presse locale s'en font surement l'écho.
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Par une délibération du 13 avril 1962, Monsieur le Maire de Roanne soumet néanmoins au Conseil Municipal le rapport suivant :
«Devant le nombre toujours croissant des sociétés locales et celui assez restreint des salles de réunion, l’administration municipale est souvent dans l’obligation de refuser ou d’attribuer la même salle à plusieurs sociétés. A cet effet, et pour améliorer cet état de choses, nous avons engagé des tractations avec la société de musique «Harmonie de Roanne» pour l’achat de l’immeuble dit «salle Jotillon», situé au centre de la ville, à l’angle des rues Diderot et Roger Salengro.
Cet immeuble, d’une superficie de 286 m2, aménagé en salle de spectacles (scène, balcon, parterre), conviendrait particulièrement comme centre culturel : organisation de conférences, concerts, réunions, lieu de répétitions etc… et serait d’une utilité incontestable pour les sociétés locales.»
La ville de Roanne acquis donc la propriété de la salle Jotillon le 4 juin 1962 (un acte de vente a été établi entre l’Harmonie de Roanne et la ville de Roanne à cette époque). Cela ayant permis a de nombreuses associations musicales roannaises de pouvoir en profiter, dont le Groupe lyrique Simone Ojardias.
Ce groupe a donné son premier spectacle au théâtre de Roanne les 28 et 30 mai 1959. Son prélude, tel qu'écrit sur la plaquette éditée et remise en 2009 à l'occasion des cinquante de la troupe au forum des associations, précise :
"Le prélude fut, en quelque sorte, l’excellente initiative
de notre professeur de musique et de chant, qui, en lieu et place des
classiques auditions de ses élèves, monté avec eux deux
opérettes : Les mousquetaires au couvent, en 1954, et Véronique
en 1956. En 1959, Simone
Ojardias, après avoir obtenu deux premiers prix au Conservatoire de
Lyon, reprit tout naturellement le flambeau laissé par son ancien
professeur et, c’est ainsi que, grâce à ces jeunes chanteurs,
naquit le Groupe Lyrique de Roanne Simone Ojardias. Ce ft alors la
création des Cloches de Cornevilles, avec cette bande d’amis,
jeunes pour la plupart, issus d’horizons très différents, mais
animés par une seule passion : l’amour du théâtre et de
l’opérette. (...) Nos premières
années ne furent pas faciles. Nos répétitions eurent lieu surtout
salle Jotillon, à l’angle de la rue Diderot et Roger Salengro.
Comme cette salle, très haute de plafond, était extrêmement
froide, deux membres du groupe allaient allumer le poêle à bois,
une heure avant la répétition. Grâce leur en soit rendue. Par la
suite, nous avons bénéficié de locaux de la salle de de Musique,
rue de Cadore, aux planchers un peu grinçants, et à l’heure
actuelle, nous répétons dans les salles vastes et modernes de
l’Hôtel de musique, Boulevard Baron du marais. »
Un jeune chargé de mission culturelle à la ville de Roanne eu l'occasion de visiter la salle avant sa réatribution, en 1995 (3). Car en 1998, la municipalité proposa aux associations d'être relogées, le bâtiment ne répondant plus aux normes de sécurité. Le temps passa, et les années deux-mille virent le Secours populaire faire son entrée dans la salle (en 2002), suite à quelques rénovations d'usage.
Si un café théâtre devait se faire à cet endroit, c'est donc à un juste retour des choses que la salle aurait droit. De quoi plaire sans doute à monsieur Jotillon lui-même.
Franck Guigue
(1) https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6546499w.texteBrut
(2) Epouse MONTARET Marie Lucie. Mariage célébré le 4 avril 1910 à Vichy. (Généanet).
(3) Il y a trente ans, en 1995, débutant ma carrière en tant que chargé de mission pour les musiques jeunes à la ville de Roanne, je m'étais intéressé aux Café concerts, appelés à devenir rapidement des SMAC (Scène de musiques actuelles). Réfléchissant à différents lieux pouvant potentiellement accueillir une telle structure, nous avions entre autres visité, avec une équipe composée de monsieur Jean Auroux, maire de l'époque, Christian Avocat, élu à la culture, des collèques techniciens et moi-même cet ancien petit théatre. Il se trouve que j'habitais à cette époque au numéro 24, "68 résidence l'ancienne". Je connaissais donc cette petite salle au cachet extérieur certain, et étais ravi de pouvoir la visiter. Cette année-là, des groupes associatifs répétaient encore à l'intérieur. Il s'agissait :
Du Groupe Lyrique Simone Ojardias
· Du groupe Myriam Jean
· Du groupe de danse folklorique Cécurrel (Lous esclops)
· Du groupe de danse folklorique «Souvenir du Portugal»
Nous avions pu d'ailleurs rencontrer ce jour-là le groupe Lous esclops.
Cependant, trop de travaux étaient à mettre en oeuvre. Les normes de 1995 n'étaient plus les mêmes qu'au début du siècle, et entre l'acoustique, la rampe d'accès handicap, les réfections diverses, le chauffage...tout cela ne passait pas. De fait, aucun lieu ne trouva gâce aux yeux de la municipalité, et seule la salle du Diapason, fraichement sortie de terre quartier St Clair offrit un peu ce service quelques années plus tard.
Sources :
Le journal de Roanne 1913 pour la construction de la salle (BM du musée Joseph déchelette)
Le Journal de Roanne (Nécrologie du 17 septembre 1911 via Gallica.bnf.fr et le service patrimoine de la Médiathèque de Roanne).
La Semaine musicale : Gallica.bnf.fr /Bibliothèque nationale de France
La musique en pays roannais (Olivier le Bret)
Roanne pas à pas (Abbé Canard)
Service des archives de Roanne (délibération).
Divers citations de Victor Jotillon dasn le Radical, via https://www.memo-roanne.fr/
Plaquette des cinquante ans du Groupe Lyrique Simone Ojardias (merci à la famille Vergnaud pour le prêt).
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