dimanche 2 novembre 2025

Stanislas, coureur de fond, et de formes, depuis quarante ans.

Lorsque l'on découvre  l’œuvre
de Stanislas, et plutôt celle en noir et blanc, publiée au détour d'un petit album oblong au milieu des années quatre-vingt, ou de revues comme Le Lynxatif, Lapin ou bien encore dans des petits albums de l'Association dans les années quatre-vingt-dix, c'est d'abord l'aspect quelque peu désuet du dessin qui nous interpelle. Immédiatement, le lecteur se sent transporté dans une autre dimension, un autre monde. Un monde de décor de film des années quarante, là où la banlieue possédait un fort potentiel d'intrigue ; où des pavillons bien propres pouvaient cacher de curieux types de brigands ou savants fous, prêts à accueillir on ne sait qu'elle invention abracadabrantesque, voire des êtres venus d'ailleurs. On pense au Paris dessiné par son aîné Jacques Tardi, avec lequel il a d'ailleurs réalisé le Perroquet des Batignolles de 2011 à 2014, adapté de la série radio éponyme co écrite avec Daniel Bouju.



Ce décor posé, il faut parler des personnages, souvent gentils, ronds et pleins de malice, aussi très cinématographiques, comme issus d'un film de Jacques Demy ou de Jacques Tati. On y trouve des marins, des sirènes, des savants (fous donc), des enfants joueurs, de belles femmes, des robots, et tous évoluent dans un univers poétique, où une porte peut amener vers une cour merveilleuse, où se retrouvent les habitants du quartier, plus un chien de l’enfer (Au Passage du Pourquoi pas, avec Anne Baraou) ou sur un toit vers lequel l'ascension vers les étoiles sera aisée, au risque de retomber dans une mer souvent salvatrice (Le galérien, la Fin du Monde). Stanislas convoque cette magie de l'enfance, où, bien au chaud face à un périodique, on rêvait de courses poursuites, d'aventures héroïques, et d'histoire fantastiques qui se terminent bien. 

 D’ailleurs, à bien y penser, on peut aussi s’interroger sur la course au sens propre - automobile ici - avec laquelle les premières histoires de l’auteur ont germées. Un des premiers albums, dans la collection X de Futuropolis en 1986, s’intitulait en effet La Grande course. On y découvrait une Helimob, sorte de vieille voiture en tôle et à hélice qui pourrait trouver son miroir dans celle, tout aussi improbable et fragile, présente dans les aventures délirantes d’un Hash Barret, par Vincent Hardy, publié exactement la même année aux éditions Vent d’ouest. Est-ce à dire que Stanislas est un coureur de fond, ayant su mener à bon port son univers, là où son collègue, venu lui aussi du fanzinat, n’aurait pas pu franchir le cap des années quatre-vingt dix ? Précisons que cet univers s’est répandu dans les pages d’une revue nommée Lapin, éditée par une association de jeunes auteurs plein de talents et d’ambitions, dont Stanislas à été l’un des piliers, qui ont justement franchi tambour battant cette décennie 90-2000, permettant ainsi à toutes et tous d’arriver saufs et reconnus jusqu’au nouveau millénaire. On retiendra donc la notion de (course de) fond, puisque le dernier album en date au moment de l’écriture de ce texte, s’intitule La fin du monde (le monde d’avant le nouveau millénaire?) ; et cette pérennité, donnant le sentiment d’une boucle, ou d’une course bien menée, n’est pas si iconoclaste. 




D’autant plus si on l’associe à la forme (aux formes) souvent joyeuses, malmenées, d’un monde un peu enfantin que Stanislas nous dévoile, comme issu d’une autre époque, où tout aurait été plus simple, plus poétique. Une poésie façon Charles Trenet ou Raymond Queneau, accompagnée d’un air d’accordéon s’échappant parfois d’un bistrot ou de derrière un muret. Souvent aussi, la famille offre un havre de paix. Cette famille tant appréciée des journaux et revues des années quarante et cinquante, où la morale (chrétienne) était un élément essentiel des récits, qui, lorsqu’ils n’étaient pas historiques, vantaient la bonne conduite des uns et des autres. Si Stanislas n’a pas besoin d’abbé pour lui dicter quels personnages respectables inventer - comme avait pu le faire auprès d’Hergé en 1936 l’abbé Courtois, responsable de la revue Cœurs vaillants, ce qui amena la création de Jo Zette et Joko - ou placer des crucifix et des curés dans ces récits (il leur préférera une prostitué, mais gentille, comme dans Au passage...), il a gardé une douceur et des valeurs « familiales » dans ses histoires, et ne renie pas ce passé, bien au contraire. Allant même jusqu’à convoquer les parents de Jo et Zette dans la Fin du
monde.
Un hommage que l’on adorerait voir perdurer de manière officielle d’ailleurs, tant la « reprise » est réussie et sincère. Et si l’on retrouve dans la même histoire, Hergé transformé en personnage robotique, façon univers BPRD de Mike Mignola (ou plus prosaïquement d’un récit science fictionnel à la Jules Vernes), sa tête mise dans un bocal, c’est sans doute pour nous signifier que quoi qu’il arrive, les vrais grands créateurs ne meurent jamais. Alain Saint Ogan (lui aussi convoqué comme personnage bibliophile dans la Fin du monde), avait entre autres créé Alfred le pinguin et le chien Serpentin ;

Hergé : Jocko et Milou, tels des mascottes accompagnant leurs personnages d’aventures. Stanislas aura pour lui et nous son Hélimob et son Toutinox, son Victor Levallois - sa propre série d’aventures « à l’ancienne » écrite par Lauren Rullier - et ses enfants, son Prince des étoiles et son Galérien, mais surtout une sirène bienveillante, gardienne de toutes ces histoires créées au fil de l’eau. Celles-ci rendent heureux ; et ça, dans le monde dans lequel nous vivons en 2026, c'est un plus qui fait toute la différence.  

Bon anniversaire Stanislas !


FG

 


 

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