dimanche 9 avril 2017

Judge Dredd : Démocratie !

Judge Dredd est un personnage de science-fiction créé en 1977 par John Wagner et Carlos Enquerra dans la revue anglaise 2000AD. La série décrit la cité Mega city one, Babylone de béton futuriste sombre et repliée sur elle-même, dirigée par des juges détenant tous pouvoirs, faisant régner l’ordre dans les rues, à bord de  leurs motos futuristes, à grand coups de matraques et de blaster. Une sorte de 1984 de George Orwell, puissance 10. Aux alentours de la cité, des régions désertiques, contaminées par la radioactivé de la grande guerre passée. Là vivent des mutants.
Le juge Dredd, l’un des plus célèbres dans son équipe, est cynique et presque sans pitié, comme la plupart de ses collègues, 

40 ans après ses débuts (1), et alors que la série n’a jamais cessée d’attirer des auteurs, et que le titre perdure, avec plus ou moins de succès en Angleterre via ses revues, l’éditeur Delirium réédite de manière raisonnée les origines du Juge, ainsi que quelques uns des meilleurs épisodes de la licence*. Ce mois d’Avril, c’est au tour du volume intitulé « Démocratie » de paraître.



Dans cet album à la maquette encore très soignée, (mais à la couverture ne rendant à mon avis pas assez justice aux magnifiques planches couleurs de Colin Mac Neil) deux récits de 1990 et 2004, publiés originellement  dans les revues Judge Dredd megazine 1.01 à 1.07, et 2000Ad 1392 à 1399, puis un de 2014 (2000AD 1874-1878) nous sont proposés.  Leurs lien : le réseau « Guerre totale », qui a juré de se battre contre la politique répressive des juges, quoi qu’il en coûte.

« America » conte l’histoire d’une jeune fille portoricaine à qui les parents ont donné le nom de leur pays d’accueil. Et bien que l’Amérique en tant que telle n’existe plus, ce nom rappelle le rêve originel. America est une demoiselle indépendante, qui va choisir la voie de la radicalisation. Son copain d’enfance, Benny Bennett, n’a pas sa hargne, et va gouter aux joies de la société de consommation, et même devenir un artiste commercial reconnu. Leur route va se croiser à plusieurs reprises, mais la Loi sera encore une fois… impitoyable et très cynique pour tous les deux.

Dans « Terror », une jeune femme, professeure, va échapper in extremis à un attentat visant des juges, grâce aux sentiments d’un terroriste qui a du coeur. Mais là encore, la morale est dure. Une fois que l’on a choisi un camp, il est difficile d’échapper à son destin.

Quant à « Mega city confidential », il nous immerge dans une ambiance à la George Orwell, très contemporaine. Une jeune femme mariée a changé récemment de travail et a incorporé une cellule de surveillance ultra secrète, dont elle ne doit parler à personne, même à son mari. Cette cellule : la Section7, surveille en fait tous les citoyens. Le secret est cependant trop lourd, et Jovis Easterhouse va décider de rompre le secret. Mais on ne casse pas impunément son contrat avec les aspects les plus sombres de Mega city one.

Si on est d’abord scotché par la beauté des planches de Colin Mac Neil :  découpage aéré, dessin réaliste légèrement encré, envahi de couleurs magnifiques explosant à la face, on apprécie d’autant plus les scénarios  au cordeau de John Wagner, qui écrit pour un public adulte, on le sent bien. Fini les poursuites de petites frappes des années 80, où l’on avait envie de sourire… fini les monstres façon Godzilla dans les rues de Mega city one. On est dans du dur, du réaliste, du moderne, et la froid cynisme qui ressort des situations vécues par les protagonistes, nous donnent à voir ce que les citoyens d’aujourd’hui peuvent vraiment vivre dans les grandes mégalopoles de notre monde contemporain 
En dehors du cynisme, c’est donc bien un courant d’air froid qui nous parcours l’échine, car on se dit que « bon sang », ces situations ont été vues l’autre jour sur nos écrans !? »

P. 5 du récit "Mega city confidential"
©John Wagner/Colin Mc Neil/Delirium

En cela, le dernier récit « Mega city confidential » daté 2014, (clin d’oeil au classique « LA confidential » de James Ellroy et sa clique de flics ripoux), présente un réseau d’ultra surveillance », dénoncé par Jovis, et rappelle de manière à peine détournée les lanceurs d’alertes tels Edward Snowden, tandis que le partage et l’utilisation des informations récoltées fait directement écho aux récentes polémiques dénonçant entre autre aux USA la commercialisation des données personnelles sur internet.(2)
A noter que dans ce dernier récit, plus tardif, le dessin de Colin Mac Neil a changé, et ressemble beaucoup plus à celui d’un Kev Walker.

Nous ne sommes plus dans la science-fiction, car la réalité l’a rejoint. Ce qui fait de Judge Dredd un comics particulièrement intéressant à lire, pour bien saisir les enjeux qui nous entourent. Une bande dessinée pédagogique en somme.
Un excellent volume !


FG


« Judge Dredd Démocratie » par  John Wagner et Colin Mac Neil
Éditions Delirium (25 €) - ISBN 979-10-90913-33-3



(1) Les épisodes originels de 1977, et jusqu’au milieu des années 80, découverts en France dans diverses publications, oscillaient entre récits nerveux rentre-dedans à humour potache, et critique en demi teinte de sociétés dictatoriales. Un vent de révolte souffle en effet en Angleterre à cette époque, et les scénaristes Alan Davis, Alan Moore, John Wagner… vont faire partie d’une bande qui va politiser ouvertement et frontalement leurs récits, créant un ton très adulte qui s’exportera alors aux USA.
Les années quatre-vingt dix verront un petit succès de notre héros anglais, et un film sera même adapté en 1995 au cinéma avec Sylvester Stallone. L’échec commercial et critique cuisant de ce dernier mettra cependant une chape de plomb malheureuse sur une série qui méritait mieux. C’est donc avec bonheur que l’on a vu revenir en français la licence avec des épisodes choisis. 

(*) Après « Origines » (Mars 2016), rassemblant trois bons épisodes inédits du Dredd des années 2000, puis « Les liens du sang » (Août 2016, encore des inédits), le label français vraiment pas comme les autres a proposé « Les Affaires classée, tome 1 », somme regroupant pour la deuxième fois de manière chronologique les premiers épisodes de la série originale en noir et blanc et couleurs, Soleil l’ayant déjà fait dans une première salve de rééditions. (2 albums, quatre intégrales : 2010-2013.)

(2) Voir :


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