samedi 23 novembre 2024

The Substance : "souriez, vous êtes belle(s) !"


Le dernier film de "Cronynch" est sorti au ciné et vous ne devriez pas hésiter !

Le jeu de mot de ce titre de chronique ne doit pas être pris comme une moquerie tant il est vrai que la comparaison des styles de réalisation et des thèmes du deuxième long métrage de Coralie Fargeat rappelera ceux de David Cronenberg et David Lynch. Néanmoins, cette réalisatrice française, qui a eu l'opportunité de travailler sur un épisode de la série Sandman, a déjà montré son talent et sa patte dans The Revenge en 2017.
Ici, elle est largement soutenue par deux grandes actrices : l'imposante Demi Moore, offrant une prestation incroyable, dans toute la sincérité et la force qu'elle met dans son personnage, et la plus jeune mais intense Margaret Qualley, vue entre autres dans son rôle de Pussycat dans Once Upon a Time in Hollywood et celui de Felicity dans le final de Pauvres créatures.

La critique est évidente et frontale : celle du monde patriarcal où les filles doivent "être belles et sourire" et où, passé 50 ans, on doit ... disparaître. Ce "Body Horror" tel qu'il se décrit lui-même, offre un scénario très intéressant, où Demi Moore se met intégralement à nue, offrant un regard cru et juste sur sa condition de femme quinquagénaire. Là dessus se joue l'opposition avec son "double" ou plutôt son deuxième "moi" plus jeune, apparu de manière violente grace au produit quelque peu "magique" mais surtout très prométhéen appelé "the Substance". 
 

Dès l'ouverture du film, le son revêt une importance capitale, avec un volume élevé, des basses et un thème propice au développement de l'incident dramatique. Puis, alors que l'actrice principale évolue dans un monde se dérobant sous ses pieds, on l'a suit dans l'echapatoire improbable qu'elle a choisi, et qui va s'avérer un piège morbide. Les scènes incroyables et belles sont nombreuses dans The Substance, et, tandis que le Gore tendance japonais, outrancier et parodique va se déchaîner sur la fin, on est subjugué par certaines, dramatiques mais plus sobres, remettant la critique sociale au coeur du film. Telle celle où Elisabeth, essayant d'échapper à son destin funeste, rappelle un ancien camarade de lycée afin de se faire aider. Se préparant le soir chez elle avant de le rejoindre au restaurant, elle n'arrive cependant pas à sortir, ne se trouvant pas assez belle, revenant dans la salle de bain, se retouchant, essayant de cacher ses rides...puis, voyant dans la poignée métallique de sa porte son reflet "hideux" (d'après elle), en comparaison avec l'image de son double posant lascivement sur un panneau géant vu au travers de sa baie vitrée, finit par abandonner, dans un délire auto destructeur. 
The Substance est un grand film, qui mérite largement son prix du meilleur scénario délivré à Cannes cette année. 


dimanche 3 novembre 2024

Les derniers jours de Robert Johnson et une vision du Blues du Delta.

Les titres BD consacrés au Blues folk et du Delta du Mississipi n'ont pas cessé de paraître depuis une vingtaine d'années, avec plus ou moins de succès, le rythme s'accélérant ces dix dernières, avec deux auteurs s'étant fait remarquer dans le genre, et un trait, avouons-le, bien charbonneux et adapté : Frantz Duchazeau et Mezzo. Ils ont fait sensation chacun avec de beaux ouvrages, publiés dans des formats et qualité remarquables, mais d'autres albums méritent aussi le détour. On citera, rétrospectivement :


Bluesman de Rob Vollmar et  Garcia Callejo
(2004-2006)


Conquistador de George Van Linthout (2005)
Me and the Devil Blues de Hakira Hiramoto (2008)

Le rêve de Meteor Slim de Duchazeau (2008)
Les jumeaux de Cocono Station, de Duchazeau (2009)
La ballade de Hambone de Igort (2009)
Mojo de Rodolphe (2011)
Lomax de Duchazeau (2011)
Love in Vain de Mezzo (2014)
Avery's Blues de Anguxx et Nuria Tamarit (2016)
Kiss the Sky, de Mezzo (2022)
Les derniers jours de Robert Johnson par Frantz Duchazeau (2024)



Concernant la figure mythique et influente de Blues folk : Robert Johnson, découvert au milieu des années trente et mort très jeune, à 27 ans, enclenchant le fameux club des 27, sa figure hante la plupart des récits ci-dessus, lorsqu'il n'est pas le thème central de l'album. En 2004, la trilogie Bluesman, si elle ne nomme pas l'artiste, préférant conter les déboires sur la route du guitariste Avery "Ironwood" Malcott et du pianiste Lem Taylor (imaginaires), évoque cela dit
beaucoup son fantôme et fait partie des très bons résultats, se plaçant en tête de la liste à l'époque, qui comptait alors et encore beaucoup Robert Crumb comme rare évocateur de ce genre d'histoire. On se souviendra en effet de son récit noir et blanc superbe de 12 pages sur Charley Patton (daté 1984) - l'un des maîtres de Robert Johnson - compilé par Cornélius au milieu d'autres références Blues, dessinées entre 1975 et 1990, dans l'album Mister nostalgia paru en 1998. Ce récit sera réédité en 2004 dans le volume 3 de la collection BD blues des éditions Nocturne,
en couleurs.


En 2008, deux bouquins différents content ce qui ressemble à la vie du personnage : un manga : Me and the Devil Blues, franchement titré avec le nom d'une chanson du bluesman, et son portrait en couverture, et Le Rêve de Meteor Slim, superbe ouvrage fournit avec un somptueux 25 cm réalisé par les Moutain Men, et reproduisant le son sensé être joué dans le livre. Si là encore, RJ n'est pas nommé, il fait peu de doute que son alter ego Meteor Slim lui doit beaucoup, jusqu'à la fameuse scène de l'enregistrement d'un disque dans la chambre d'hôtel. Un must have, réédité depuis, plaçant Franz Duchazeau, qui va réitérer avec d'autres histoires blues du même tonneau, dans le top du genre, à savoir dessin sublime et propos de gourmet.


 Cependant arrive Love in Vain de Mezzo en 2014, et là, on repart dans l'officiel. C'est dit, c'est signé, avec comme titre LE chef d'oeuvre du bluesman et un format à l'italienne magnifiquement rendu. 56 pages de bandes poétiques à la tonalité ouvertement fantastique, flirtant avec l'anecdote du diable croisé sur le croisement de routes. 1/1 au score. A noter que quatre ans plus tard, Glénat proposera une superbe réédition grand format carré, avec nouvelle couverture et surtout un vinyle à l'intérieur. Gasp. 


Mezzo enchaîne 8 ans plus tard avec le tome 1 de Kiss the Sky, consacré à Jimi Hendrix, et délivre un superbe album Noir et blanc nous plongeant dans les années cinquante blues et Rhythm'n’Blues, puis Duchazeau remet le score à zéro avec sa propre bio de l'artiste Robert Johnson cet automne 2024. Un album complet, de 236 pages, axé sur ses dernières années, dans le style superbe qu'on lui connaît.Traité de manière beaucoup plus réaliste, abordant des errances avec son ami et collègue musicien, ce dernier se permet quand même un clin d'œil "mise en abîme" à Meteor Slim, en page 193, évoque le fameux Crossroad d'un point de vue assez original, et s'achève avec sa mort, en août 1938, et l'hommage émouvant qui lui est rendu par John Hammond, organisateur de la soirée "From Spirituals to Swing" le 23 décembre au Carnegie Hall de New York, auquel l'artiste devait participer.
Une nouvelle référence incontournable.
 
Les derniers jours de Robert Johnson par Frantz Duchazeau
Editions Sarbacane (29,90€) - ISBN : 978237731853

 


Ecouter le podcast RadioFrance consacré à cette soirée historique de 1938 :

https://www.radiofrance.fr/francemusique/jazz-au-tresor-from-spirituals-to-swing-carnegie-hall-1938-39-5005131




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