vendredi 1 mars 2024

Ecole de musique de Riorges Bourg : un air de nostalgie issu des années trente.

Ils ont aujourd’hui la cinquantaine ou bien plus, et se souviennent des heures qu’ils ont passées dans les années soixante-dix et quatre-vingt au sein de cette vieille école de musique au bourg de Riorges, ayant accueilli jusqu’à 300 élèves et qui fut le tremplin du centre musical Pierre Boulez.

Mais combien savent encore que cette association fut créée le vingt avril 1933 à la salle municipale des Canaux !?
Ci-dessus, l'école des Canaux en 1947.

L’idée en revient à « un fervent de musique : Mr. Louis Robin, installé aux Canaux depuis 1911, (qui) avait toujours rêvé de propager cet art au maximum, et le 5 de la rue de Vichy où il habitait avait vu défiler déjà bien des boîtes à violon ». Nommée officiellement « Groupement musical de Riorges » l’association fut administrée entre autre à l’origine par sa fille, violoniste passionnée riorgeoise : Denise Robin ; lui en étant administrateur général. Au poste de trésorier : Mr Massacrier ; comme secrétaire : Mlle Lucienne Soisson. On note aussi la présence d’un « archiviste » le « modeste et brave » père Troncy, qui se « montra particulièrement efficace » afin, par le truchement de membres honoraires, à subvenir aux premiers frais d’organisation. Ce sera plus tard le père Vallières, « encaisseur zélé, qui fera un très appréciable recrutement ». (NDLR : il ne s’agit pas pour autant de gens d’église). Des cours de solfège et violon commencèrent : 56 élèves étaient alors inscrits. Une première audition eut lieu le 22 juillet 1933 à la salle Rejony du Bourg. En fin de programme se présentèrent, fraîchement sorties des Conservatoires de Saint-Etienne et de Lyon, avec leur prix et faisant leur début dans l’enseignement : Denise Robin et Madeleine Tête (1) . Ainsi commença une longue collaboration.

L’école va se développer peu à peu et voir grandir son nombre d’élèves ainsi que son niveau. Elle traversera la période mouvementée de la guerre, participant dans la mesure de ses possibilités aux manifestations organisées alors en faveur des réfugiés, des vieillards, de tout ceux qui souffrent. L’importance de l’école grandissant chaque année, son effectif ayant doublé, il fut procédé en 1955 à diverses modifications, dont le changement de nom, devenant « Ecole de musique » (de Riorges Bourg.) Son bureau fut renouvelé et le local de la rue Carnot aux Canaux devant être abattu, l’école dût trouver un nouveau local. En 1964, Mr Girard, ancien maire de Riorges, laisse une grande salle au rez de chaussée de la mairie, à l’emplacement de l’ancienne poste. Le préau des filles du groupe scolaire Beaucueil fut aussi transformé pour un soir en salle de concert.

(Extraits réadaptés d’un article paru dans le bulletin municipal N1 de la ville de Riorges, 1967).

Enfin, elle déménage à Riorges bourg, en 1973, dans l’ancienne école communale, aux côté de l’ancienne mairie, au même moment quasiment que commence le projet de réhabilitation du parc Beaulieu. Le bâtiment principal est divisé en deux parties au rez-de-chaussée , auxquelles on accède par un petit couloir, tandis qu’un escalier sur la droite mène à l’étage. Au fond à droite au rez de chaussée, on accède à la salle principale de solfège et de cours de piano. L’ambiance est studieuse et « à l’ancienne ». les élèves sont assis sur des bancs, devant les tables d’écolier en bois. On apprend le solfège (on ne parle pas encore de « formation musicale »), et régulièrement, la dictée musicale effraie celles et ceux ne pratiquant pas le piano. En effet, Jo joue un air en essayant de cacher au mieux ses mains, mais les élèves ne pratiquant pas l’instrument ne peuvent copier et décryptent laborieusement les mélodies. On y passe aussi les examens de chant, installés debout face au bureau du professeur et à un pupitre, mais surtout à une partition dont on doit chanter les notes en les nommant. Terrible souvenir là encore. Au fond à gauche du couloir : une marche nous permet d’accéder à une petite salle carrée, salle d’attente pour une autre salle souvent fermée, où se pratiquent les cours de violon. A l’étage, deux salles plus grandes : une à droite en haut des escaliers, réservée aux cours de flûte traversière, et à gauche, une autre grande salle où des cours de clarinette voire de solfège parfois sont assurés par Jo Parinello.

Les cours ont lieu surtout le mercredi, mais aussi en soirée, après l’école. Jo Parinello, professeur de clarinette et accordéon assure l’essentiel des cours de solfège. Ce jeune instrumentiste fraichement diplômé a créé l’école de musique de Charlieu avec sa sœur Cathy (aujourd’hui Valorge), en 1974 ; sœur qui s’en occupe toujours. Il a débuté à l’aube des années soixante-dix dans des orchestres de variété au synthétiseur (Inf’Trouble, Cadence, Flashdance, So Chic…) et a été l’élève de Bernard Forest, aussi accordéoniste et clarinettiste domicilié à l’époque à Pradines. C’est lui qui lui a donné le goût de ces instruments. Jo Parinello fondera en 1985 sa propre école de musique à Roanne. Parmi les autres professeurs de cette époque plus proche de nous, citons : Christian Ballansat (flûte traversière depuis 1973), madame Joanin (violon), Annick Foriot : piano ; madame Dinet (violon) ; Mlle Vignant (piano) ;Mr Jean Bardon : guitare classique ; Mr Servajean Christian : piano, Madame Meunier, institutrice et professeure de chant choral : bras droit de Mlle Tête. 

Ci dessous à droiite : Jo Parinello, lors du camp à Bully, en 1983, dans la grande salle du rez de chaussée. (Photo archives famille Guigue) 

Les examens se déroulaient dans la salle du bas, et des jurys assistaient les professeurs. Mlle Marthe Henri, professeure de violoncelle à Roanne et de maths au Lycée Jean-Puy, en faisait partie. Tout comme monsieur Déchelette, professeur de solfège, et clarinettiste. Les concours de fin d’année avec remise de prix, après être passés à l’hôtel de ville, finirent par se dérouler au gymnase Galliéni, inauguré en 1975. Les prix étaient pour la plupart des livres. On montaient les uns après les autres, à l’appel de notre nom, pour les recevoir. Une étiquette à l’intérieur dudit livre mentionnait la « note ». Au début des années quatre-vingt, le second bâtiment sur la gauche (ancienne mairie) sera aussi utilisé par l’association, avec une grande salle en haut des escaliers, où la flûte entre autre, sera pratiquée. Madeleine Tête, alors âgée de soixante-dix-ans, et directrice principale appréciée de tous, sera contrainte par son âge à laisser sa place à Jacques Boyer, professeur de musique au collège de Riorges Albert Schweitzer, à la rentrée 1982-1983. Les Palmes académiques lui auront été délivrées entre temps au gymnase Galliéni lors d’une cérémonie officielle le 22 mars 1981, avant une retraite bien méritée. Elle laissera un souvenir agréable mémorable à des centaines d’élèves ainsi qu’aux professeurs.

En février 1983 eu lieu le premier camp musical à Bully, sur plusieurs jours, dont beaucoup se souviennent émus des dortoirs de ce grand bâtiment centre de vacances et des jeux en extérieur sur le mini stade cimenté en terrasse à l’entrée du village. Puis l’école déménagera alors une dernière fois en 1989, afin de rejoindre le dit collège, pour ce qui deviendra le Centre musical Pierre Boulez, toujours géré par la même association. D’une école communale, l’association resta donc aux côtés d’un autre établissement scolaire, du second degré cette fois-ci. Une autre époque, mais des noms, des visages et des souvenirs inoubliables.

Franck Guigue

(Ancien élève flûtiste de 1977 à 1984). 


Jacques Boyer et des parents à la corvée patate, camp de Bully, 1983.
A droite au fond : l'élève violoniste Lautent Grégoire.


Cet article n’aurait pu être finalisé sans l’aide précieuse des archives d’Hubert Aupol (roannais puis saint-albanais, très impliqué dans le tissu associatif depuis février 1979, et entre autre trésorier du Gamec), celles de la ville de Riorges et l’aide de Laure Tolin et Sylvain Goutaland, et les témoignages de Jo Parinello et Christian Ballansat. professeurs.

Autres sources :

(1) Article sur Maurice Tête du 22 mai 2014 , sur Forez-info.com. Texte extrait de l'opuscule édité à  l'occasion de l'exposition consacrée à  l'artiste en 2013, conçue par l'association " Au Temps de Louis Caradot". https://www.forez-info.com/encyclopedie/le-saviez-vous/21255-maurice-tete.html

(2) Interview de Jean-Pierre Gilfaut, à l'origine du (re)lancement de l'association Les Enfants de la Côte (la société de musique datant de 1889), et fondateur du Printemps Musical en Pays roannais, le vendredi 25 mai 2018 dans l’Essor par Béatrice Perrod-Bonnamour.

 Madeleine Tête (21 juillet 1907 - 1er juillet 2001) en 1958.
L’une des trois filles de Maurice Tête, peintre local reconnu, pianiste diplômée de talent, elle devint vite directrice de l’école de Riorges (déjà en 1968), y consacrant pratiquement toute sa vie, en tous cas sa carrière. (Photo : archives Riorges).

Palmes académiques, 1981 Riorges
Photo : Charles Revon (archives mairie de Riorges).


Cet article complet a connu une version trés résumée dans le Pays roannais du 29 février 2024.

dimanche 31 décembre 2023

Collecto Web : la quête des vieux illustrés jeunesse (en province)

Comment se met-on à rechercher avidement, trouver et éventuellement collectionner de vieilles revues illustrées ou de vieux albums de bande dessinée lorsque l'on n'est PAS sur Paris ? (Une note pour les amateurs de vieux papiers).

Prologue et conseils

C'est quoi collectionner des vieux papiers ? Quelle est donc cette folie qui nous fait chiner plus que de raison et amasser des vieilleries sentant le renfermé, et étant complètement déphasées du temps dans lequel on vit ? Tout d'abord, il y a l'amour de la culture. La "Populaire" dans l'absolu, celle qui a su faire exister des objets ; des créations générant des sensations. Si l'on est amateur de cinéma, que l'on s'estime cinéphile, il ne fait aucun doute que l'on souhaitera connaitre ce qui a été fait avant. Les grands classiques comme on les appelle. Cela sera aussi valable pour les disques, et donc les livres, les bandes dessinées. Dans ce dernier cas, on s'intéressera autant aux dessinateurs qu'aux scénaristes et l'on souhaitera savoir d'où viennent les uns et les autres, ce qu'ils ont réalisé avant ; avant notre entrée en matière. Dés lors, les travaux de nos prédécesseurs amateurs, plus ou moins érudits, nous serviront. Des sites web et magazines, revues, fanzines, seront incontournables à consulter. Et pour ce qui concerne la bande dessinée, on consultera avec passion les sites suivants : BDoubliées, LaDatabaseduloup, BDzoom, Juventa.fr, Gallica, ComicVine, Petitformats.fr...etc.

Cette quête nous amènera forcément vers les revues illustrées, d'abord des années soixante-dix, puis soixante,

puis cinquante (l'âge d'or), puis quarante... et enfin on atterrira sur les vieux livres illustrés des années 1930, 1920, 1910... 

Le vintage, ça ne s'explique pas vraiment. Ça se ressent. Aimer l'ancien, c'est reconnaitre la beauté et la poésie d'une époque. C'est apprécier des valeurs disparues, ou au contraire, comparer ce qui a changé et sourire d'une certaine naïveté. Dans tous les cas, c'est être témoin privilégié d'un temps passé. On peut aussi aimer apporter la connaissance de cette époque, on en parle un peu en fin de note (voir point 10).

En 2023, il est d'autant plus fascinant de pouvoir, grâce à la magie des brocanteurs et encore davantage internet, chiner dans les affaires de particuliers du monde entier. Si l'on se contentera de l'Europe, depuis le Brexit et les augmentations inacceptables des taxes pour l’Angleterre et les USA, il faut reconnaitre que les sites de ventes d'occasion de type Le bon coin, Rakuten et plus récemment Vinted (voire Ebay), regorgent d'opportunités. Quel plaisir de pouvoir prendre le temps de fouiner, chercher et...trouver quasiment tout ce que l'on rêve de récolter. Que ce soit des anciens collectionneurs se séparant de leur propres collections, ou des familles dispersant aux quatre vents ces dernières, il y a fort à parier qu'avec un peu de temps et de rigueur, et sans vouloir absolument trouver LA pièce en état neuf, on puisse se faire avantageusement plaisir. C'est ce qui m'anime depuis quelques années. En vérité, j'achète par correspondance depuis le début des années quatre-vingt, ayant commencé avec la collection L’œuvre intégrale d'Hergé. Quel plaisir c'était de recevoir chaque mois son volume dans la boite aux lettres. Cela m'a donné le goût de ce Noël avant l'heure, où tout est permis. Entre temps j'ai intégré avec grand plaisir les lois du Web market, et des plateformes d'occasion (d'abord Priceminister, puis bien d'autres sites, pour des BD d'occasion et des disques), puis ensuite les autres sus-nommées. 

 

Quelques règles de base sont à respecter lorsque l'on souhaite se lancer dans de la chine de qualité sur le web :

1 - Tout d'abord, lire. Beaucoup. Se renseigner dans de vieilles revues, des articles sur le web, et connaitre la rareté et ou la valeur de ce que l'on cherche.

Cela permettra de ne pas faire et dire n'importe quoi. (Mais aussi hésiter trop longtemps ou trop négocier avec le vendeur, ou à l'inverse, payer trop cher une vieillerie

en très mauvais état). Évidement, plus on recherche, plus on lit, plus on découvre, plus... on souhaite avidement d'autres choses. C'est le paradoxe cynique de la chose, mais... on aime le vintage et les vieux papiers, ou pas ?

2 - Ne pas perdre de vue que dans l'absolu, ce que l'on cherche doit d'abord rester un plaisir, lié à différentes raisons (Madeleine de Proust, ou simple plaisir de la découverte).

3 - Un lot sera toujours plus intéressant qu'un achat à l'unité. Pour vous comme pour le vendeur. On négocie d'ailleurs mieux dans ce cas. Ne pas le perdre de vue et orienter ses recherches en ce sens en majorité.

4 - Il en découle qu'on ne se lance pas dans de la recherche et de la collection si l'on a pas un sou vaillant.

5 - Bibliographie.
Bien se documenter avant et lors de ses recherches ; prendre des notes, ne pas se tromper, car il existe des éditions parfois assez similaires, qui n'ont pas la même cote. On pourra en effet trouver des livres du même éditeur, de la même année, mais qui ne possèdent pas les mêmes illustrations ou alors pas celles pleine page couleur...etc. D'où la différence de prix. Ne pas hésiter à demander des photos, à se faire préciser l'état. En restant très poli.

6 - Voir ce que le vendeur propose d'autre. Des pièces isolées dans une vente étant souvent synonymes de bon plan, issues d'un vendeur ne connaissant pas trop la rareté ou le marché, tandis qu'une armada de belles pièces sera plutôt synonyme de prix "à la pleine cote" d'un collectionneur souhaitant se faire un maximum d'oseille.

7 - Une fois le contact pris, avec politesse, rester en bons termes et bien remercier. Cela peut paraître une évidence, mais être acheteur n'est pas une fin en soi. On peut être amené à reprendre contact pour une raison ou une autre avec le vendeur et celui-ci sera sans doute heureux de pouvoir refaire affaire avec vous, de manière des fois très sympathique. 


 8 - Dans cet état d'esprit, ne pas hésiter à échanger avec amabilité, voire engager une discussion sur votre passion. On peut être très surpris de ce que certains collectionneurs (anciens souvent, et belges très souvent) sont ravis de pouvoir trouver à "offrir" leur trésors à d'autres amateurs. Il m'est personnellement arrivé d'avoir la surprise de trouver des bonus dans mon paquet, et pas des moindres, ou de ne pas payer une commande effectuée, récupérée par un ami de main à la main, car le vendeur m'en faisait cadeau.

9 - État. Dans mon cas, je préfère un état moyen, mais complet (voir légèrement incomplet), mais qui se tient, à un très bon prix, plutôt qu'une superbe pièce inatteignable en termes de budget. Sachant que j'estime en amont les moyens qu'il me faudra pour réparer, améliorer ou compléter le volume que j'acquiers. De fait, s'il s'avère après recherches poussées, que le volume est vraiment rare en bon état, le budget devra être augmenté. Se posera alors la question de l’intérêt de posséder ce dernier, mais... une fois que la recherche est lancée, difficile de faire machine arrière; cela devient un défi.

10 - Conservation- catalogage.
Il va de soit que dans ce travail organisé de recherche et d'amassage de ressources physiques, peut apparaitre une notion de conservation. Le collectionneur a plus ou moins conscience de sauvegarder une partie du patrimoine populaire. Dés lors, il sera avisé (ou pas) de bien conserver ses acquisitions (avec restauration éventuelle, mise dans des pochettes plastiques, des boites au sec...etc.), et il cataloguera plus ou moins efficacement tout cela. Voire, il le partagera. Cela pourra se faire de manière distraite via des photos et des notes sur un réseau social, ou de manière un peu plus érudite, sur un ou des sites spécialisés. 

En conclusion : on l'a vu : la chine "organisée" sur le web n'est pas à la portée du premier venu. On peut s'y perdre, et la recherche est souvent, comme la fameuse "sérendipité" propre au web, induite et déroutée par ce que l'on trouve sur son chemin. C'est en tous cas ce qui m'arrive souvent lors de mes recherches. Parti pour, par exemple, trouver des éditions en bande dessinée de Robin des boisau fil du temps, je (re) fais connaissance avec des revues, des noms d'artistes, et je me laisse dérouter. Soit par d'autres produits d'un vendeur bien achalandé, soit par d'autres pistes intéressantes. Ce dédale doit être néanmoins parsemé de repères, si l'on ne veut pas se perdre complètement. Car le temps lors d'un achat est une notion importante, voire cardinale, on l'a déjà vu auparavant. (Des photos d'écran collectées en albums me servent à m'y retrouver). Trop hésiter ou ne pas poser de jalons, de repères, risque de nous faire perdre la piste, et l'achat. Cela peut être parfois source d'un grande frustration.

Et, au fait, n'oubliez pas : de lire vos acquisitions ! :-)

Bonne chine !

Témoignage

Tout a commencé avec un lot de Coeurs vaillants 1952-56 et un recueil Coq hardi (#6) de 1952 gentiment légué par mon beau père lors de son déménagement en 2022. Fasciné par certains récits de Coq Hardi, et entre autre Jacques Canada de (Dick Fletcher,) ainsi que Sitting Bull de Marijac et Dut. Je me mets à vouloir compléter ces récits. Là dessus, je tombe sur des pages documentaires et illustrées, en couleur, décrivant la vie de pionniers et indiens, réalisées par un certain Joe Hamman

 

Je me renseigne, et constate qu'il a dessiné pas mal de fiches, entre autre dans Coq hardi et Pierrot. Sa vie est formidable. Il a été aux Etats-Unis du temps des premiers Wild West Show et est devenu ami avec Buffalo Bill. Il a aussi visité la réserve Sioux de Pine Ridge et s'est lié d'amitié avec Red Cloud, un des chefs indiens ayant participé à la fameuse bataille de Little Big Horn, avant de revenir en France, et de réaliser et jouer dans de nombreux films westerns, jusqu'en 1937 environ. Ensuite, fort de son bagage académique de dessinateur, il a commencé une carrière d'illustrateur et raconteur de cette vie du far West dans des périodiques pour la jeunesse ainsi que dans des livres d’aventure ou documentaires. Un jour, par hasard, je tombe sur l'un de ses nombreux livres illustrés dans une brocante. Puis je réalise qu'il est crédité sur une histoire de Red Cloud, le chef indien, dans une poignée de Coeurs vaillants datés 1951. (1)

Je m’empresse donc d’acquérir un maximum de revues où apparaissent ses chroniques. Je me renseigne aussi sur Buffalo Bill et les premières publications liées au personnage et trouve par chance un rare recueil de fascicules consacrés à ses histoires, daté 1946, par Fronval et illustré par Brentone. Ces fascicules sont une sorte de second chapitre faisant suite aux tous premiers fascicules (« Dime novels », ou roman à quatre sous), consacrés au personnage. William Cody avait en effet donné son accord à la fin du 19eme siècle pour conter ses histoires (imaginaires et/ou exagérées/romancées). "Buffalo Bill" étant la traduction d’une série de « Dime novels » (romans à 10 cents) publiée par la firme new-yorkaise Street and Smith. La première aventure paraissant en 1869 dans le Street and Smith’s New York Weekly. 


Le mythe de Buffalo Bill, forgé de toutes pièces par Edouard Zane Carrol Judson dit Ned Buntline (1821-1886), fut entretenu après lui par de nombreux écrivains. En Europe, ces aventures furent éditées, sans indication d’auteur ni de traducteur par la firme allemande A. Eicher à partir de 1906. (Source : Gallica).

Les Dime novels de Street & Smith (approximate Dates of Issue: 1902-1915) Approximate Number of Issues: 591. https://dimenovels.org/Series/162/Show

On compterait 385 fascicules européens Eichler d'après le site https://www.papy-dulaut.com/article-eichler-les-aventures-de-buffalo-bill-119867142.html

Après guerre, c'est Georges Fronval qui repris le principe, avec son collègue illustrateur René Brantone

 

Fasciné aussi par le Western depuis mon enfance, je me mets à vouloir compléter d’autres récits de classiques de ce genre, illustrés. Fenimore Cooper apparaissant comme l’un des fondateurs. Années cinquante, années quarante, années trente... d’autres noms comme Thomas Mayne Reid apparaissent et je retrouve aussi au passage des illustrateurs connus : Le Rallic, René Follet… et fait connaissance avec d’autres. Mon voyage en Ecosse et entre autre dans les Highlands, et un passage à Culloden et dans la forêt de Sherwood me donnent aussi envie d’en savoir davantage sur Robin des bois, Walter Scott, mais aussi Robert Louis Stevenson (Le maitre de Ballantree)… C’est ainsi que que je me tourne aussi

vers les Classiques illustrés et les Mondial aventures, publiés par les publications classiques internationales et la société parisienne d’édition, dans les années 1954 et 1957. Cherchant à compléter des fascicules et des histoires devenues rares, je trouve des recueils à bon prix, puis, tout en cherchant encore à compléter certains récits, tels Quentin Durward de Walter Scott, je tombe sur sa publication en récit illustré dans le journal Fillette de la SPE en 1951. Ni une ni deux, je me mets en chasse et trouve.

Une quête à la fois excitante et sans fin, semble t-il, où seul le temps permettant de tout lire en détail manquera, cela ne fait aucun doute ;-)

Florilège de pages de Mondial aventures (en recueil) et de Fillette...




















 

 

mercredi 1 novembre 2023

Le règne animal : qui suis-je face aux autres ?

Vu hier au soir au cinéma : le Règne animal. Un film angoissant, sur notre relation à l'autre, et notre rapport à la nature sauvage. 

Alors que le monde, suite à une maladie affectant les gènes humains, s'est tout juste habitué à une transformation d'une partie de sa population en "créatures", François et son fils Émile adolescent, déménagent dans les landes, afin d'accompagner le déplacement de Lana, la mère d’Émile, "atteinte", dans un centre spécial fermé. Logés dans un camping à côté de ce dernier, ils sont avertis d'un accident grave du camion transportant Lana et d'autres créatures, où certains ont trouvé la mort, mais apparemment pas elle. Tous deux se lancent donc à sa recherche dans les bois attenants. Julia, adjudant de gendarmerie, tentant d'aider François, à sa manière. Pendant ce temps, Émile, qui a incorporé une nouvelle classe pour les deux mois avant l'été, se comporte de plus en plus étrangement... 

 

Thomas Cailley ne va pas nous refaire Le loup garou de Londres (pas si rigolo, exagéré ni fantastique), ni Sweet Tooth (très Disneyien quelque part, malgré son scénario alternatif dénonciateur ne manquant pas de dureté). Non, tel un conteur, inspiré par l'histoire de la Belle et la Bête, il va nous donner à voir, entendre et ressentir les difficiles relations entre éléments d'une même famille, d'une même communauté, s'éloignant progressivement, mais inexorablement les uns des autres, à cause de différences, d'abord minimes, puis de plus en plus prégnantes. Et pourtant, cette progression devrait nous permette une adaptation, et l'empathie nécessaire. L'humain est cependant ainsi fait qu'il se laisse envahir par la peur et la haine. Ces êtres humains transformés, choisis par le destin - tel lors d'une pandémie inconnue et récente frappant au hasard et détruisant des familles - subissent, et perdent progressivement jusqu'à la parole, en plus de leur apparence, développant par ailleurs d'autres "qualités". Repoussés, torturés, puis traqués, ("Pas de bestioles ici !") ils auraient pourtant besoin de compassion, d'accompagnement. Cela vous fait penser à quelque chose ? La période Covid 19 bien, sûr, mais surtout les migrants de tous pays. Le même sort leur est réservé. Quant à la forêt, dernier et seul refuge inespéré, ne la leur doit-on pas ? Cette forêt que l'on détruit aussi, et pour laquelle on a assez peu de considération. Finalement : Thomas Cailley ne parle pas autant d'un quelconque règne animal dont on voit mal comment de fait il pourrait régner - vu notre armada toute puissante à contrer ses congénères - que de nous-mêmes, les vraies "bêtes" que l'on cherche à mater. Et cette "maladie" qui nous tombe dessus sans prévenir, n'est-elle pas simplement le signe évident de notre défaillance, de notre capacité à nuire, en tant qu'humain, auprès de la nature et de nos semblables !?


Mention spéciale aux acteurs, dont Paul Kircher (Émile), Billie Blain (Nina), et bien sûr Romain Duris, et au ton du film, assez réaliste et juste fantastique ce qu'il faut. On aurait aimé cela dit comprendre pourquoi ce changement de gêne affecte autant les humains, en poussant certains à se transformer autant différemment : de mammifère à batracien, poulpe ou même insecte (!?!), et pourquoi ces élèves de...lycée ? se conduisent comme de bien matures jeunes adultes, capables de discussions tellement sérieuses et construites, et d'engagements socio-politiques, alors que cela est si différent dans la vraie vie ? Nous ferait-on prendre des vessies pour des lanternes ? Ou bien un changement de gêne est-il déjà aussi à l'œuvre chez eux ? Le Règne animal, c'est bien cela : un conte moderne, où la bête n'est pas celle que l'on croit. 

FG 


A lire : un article intéressant sur la prouesse des effets spéciaux du film, et une comparaison (influence) intéressante du réalisateur entre le comics Black Hole de Charles Burns et son film : https://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/Le-Regne-animal-une-prouesse-d-effets-speciaux-pour-ce-bijou-de-SF-francais


A voir aussi : le Tumblr de Frederik Peeters, proposant les dessins préparatoires aux diverses créatures du film : https://frederikpeeters.tumblr.com/


lundi 25 septembre 2023

Le dessinateur, l'aquarelliste et le photographe. (Un retour sur l'exposition du cercle Indigo 2023)

C'est intéressé par les derniers feux de l'exposition riorgeoise mettant en avant la technique de l'aquarelle, que je me suis rendu ce dimanche après midi ensoleillé en vélo au château de Beaulieu. Au premier étage, le Cercle artistique Indigo de Pouilly les Nonains présentait les œuvres de ses membres, mêlant huiles, acryliques et aquarelles autour de la thématique : L’eau sous ses différentes déclinaisons. Retour très subjectif :

Ci-à gauche : reproduction d'une œuvre d'Abel Antonysamy, tirée de la page communication du site de la ville de Riorges. (DR) Les autres photos sont : Franck Guigue sauf exception.


Jean-Christophe Ronzier,
aquarelliste roannais, était l’invité d’honneur de cette partie de l’exposition. Se disant lui-même assez moyen dessinateur, il nous invite dans des univers bizarrement colorés où la difformité de certains éléments du décor apportent une touche quasi surréaliste à ses œuvres. Intriguant et agréable à la fois. (Ci-dessous : photo d'une des œuvres exposées, issue de la page Instagram de J.C Ronzier).


Les aquarelles d'Andrée Wills, autre exposante du club, bien que plus classiques dans leurs sujets démontrent une très bonne technique et une belle sensibilité aussi.
(Photo d'une des œuvres exposées d'Andrée Wills d'un bateau dans les glaces, ci-dessous à droite. Particularité de cette dernière : avoir été réalisée sur une...toile !)

Au 2e étage, le public pouvait découvrir le travail artistique d’Abel Antonysamy, aquarelliste venant de Pondichery (Inde), ayant été invité d'honneur de l’édition 2022 du festival d’aquarelle de Pouilly-les-Nonains. Il a animé deux stages à Riorges les 19 et 20 septembre puis les 22 et 23 septembre. Approché avec envie, car son œuvre magnifique, basée quasi exclusivement sur les ambiances et la culture de son pays, émerveillent, je lui ai posé cette question : "un artiste comme vous,  maîtrisant cette technique, dans le cadre de tableaux basés sur des scènes quotidiennes, doit-il aussi être un bon photographe ?"  Ce à quoi il m'a répondu avec malice : " bon photographe, bon dessinateur, bon artiste".
Arriver en effet à révéler la poussière d'une fête traditionnelle (le Pongal tamoul, en l'occurrence) grâce à l'eau et la couleur, n'est pas chose si aisée, tout comme il est important de laisser "vivre" et respirer son tableau avec des blancs de papier équilibrés et justement répandus. Tout cela et bien plus encore, Abel Antonysamy le maîtrise, et c'est ce qui fait toute la force et la beauté de ses œuvres.  
 

 Scène de pêche à l'aquarelle d'Abel Antonysamy, digne d'une belle photo.
(Photo d'une des œuvres exposées).

 
Une de ses élèves et amie, mais aussi secrétaire du cercle Indigo : Christine Kibkalo, travaillant différentes techniques depuis une dizaine d'années déjà, férue de voyages exotiques et s'étant déjà rendu au moins deux fois en Inde, mais aussi au Vietnam -  dont elle a ramené de nombreux carnets de voyage - n'aura sans doute bientôt plus grand chose à envier au maître, tant cette passionnée de Pouilly les nonains a su trouver sa voie. Il suffit de regarder ses aquarelles magnifiques et pleines de vie, telle ce passage en barque sous des frondaisons du Mékong (voir ci-dessous), ou bien ce ramasseur de légumes et herbes aromatiques dans l'eau terreuse, mais aussi les quelques acryliques présentées, comme celle d'une femme indienne poussant une barque, pour s'en persuader. Une belle exposition, et des élèves doués.

FG
 
 Ci-dessous : quelques photos des œuvres exposées de Christine Kibkalo :

vendredi 25 août 2023

Une drôle de chouette vie, par Hideyazu Moto

Première publication française d'un mangaka quinquagénaire doué, cette compilation de récits courts détonne par son surréalisme et son absurdité douce amer. Alternativement dingue et acide !

Dans « Ton ami », une invasion de vénusiens, bizarres créatures faites de parties métalliques plus ou moins bien agencées, viennent en repérage sur la terre. Kaneka, le chef, envoie Denkichi, le plus jeune, en mission. Celui-ci se lie d’amitié avec une famille, apprenant aussi le sens de la beauté, qu’il ne connaissait bas, car issu d’une caste « moche », puis  revient faire son rapport. « Comment son les terriens ? » lui demande son supérieur. « Nuls. Que des gens bizarres. Extermine-les au plus vite ». Denkichi n’étant occupé qu’à admirer la vis sur la tête de son supérieur, le rendant si beau à ses yeux. Dans « Un ami cher ». Kenichi, jeune garçon, va aujourd’hui pêcher avec son ami Soegusa. Il espère passer un bon moment. Un homme avec un bouledogue passe. Kenichi s’amuse à imaginer ce que donnerait la tête du chien sur l’homme, mais se fait mordre toute la main, qu’il perd. En sang, mais pas démonté, il décide de corriger la bête, mais frappe par erreur l’homme, ayant vraiment pris une tête de chien entre temps. Ce dernier ne supportant pas la violence, lui arrache la tête avec sa gueule. Kenichi, sans tête, sans bras, rejoint dés lors son ami. Après un moment d’hésitation, Soegusa l’invite à monter dans sa barque et tous deux partent au milieu du lac pêcher. « C’est beau l’amitié » pense Kenichi. 

La couverture est trompeuse avec ses couleurs vives et ses personnages familiaux posant ou gambadant dans une nature idyllique. Quoi que le héros à grosse tête : Amo, un des personnages principaux de ces 18 histoires, semble sourire jaune, comme si lui seul était conscient de la farce et des histoires pas nettes qui se jouent autour de lui. Hideyasu Moto a débuté sa carrière de mangaka en 1995 au Japon dans la célèbre revue Garo, alors en passe de disparaitre, un an plus tard, au décès de son créateur Katshuichi Nagai. Garo était à l'origine une publication pour enfants, créée en 1964 et a publié entre autre des histoires de Toshiharu Tsuge (la Vis). Elle évolua cela dit vers un ton de plus en plus décalé et c'est en son sein qu'en 1976 le courant Heta-Uma (malhabile mais appréciable), fut créé sous le crayon de Teruhiko Yumura. Hideyasu Moto s'emparant du genre, l'accorda à sa sauce, avant de partir ensuite travailler pour la revue Ax (la hache). C'est là qu'en 1998 paru la première version de "La vie heureuse", dont la version remaniée de 2012 nous est aujourd'hui proposée par les éditions Misma. Cette compilation d'histoires courtes dérange dés son premier épisode. Le Meta-Huma révèle effectivement un genre mêlant un dessin minimaliste, de style comique bien que malhabile, où les corps volontairement déformés de certains personnages accentuent l'effet étrange. Les scénarios quand à eux proposent des situations souvent surréalistes, improbables, ou au contraire tirées de la vie quotidiennes, mais où un élément dramatique violent vient souvent s'inviter, au détriment de toute logique, ou compassion. L'exemple des vénusiens dans « Mon ami » en est un exemple probant. Amo, de son côté, est souvent la victime des maltraitances d'autres copains ou de sa propre famille, lorsqu'il n'est pas le bourreau à son tour, sans pitié, quoi que de manière dilettante et peu assumée. Des histoires d'enfance vues sous l'oeil d'un adulte moqueur et cynique. On essayera vaguement de comparer ce genre en France aux forfaits de noms tels Charlie Schlingo, Fred Neidhardt (Monsieur Tue tout), ou peut-être Vuillemin, mais Hideyasu Moto reste unique. Une découverte surprenante, réjouissante, et, osera t-on le dire : jouissive, marquant d'une pierre blanche l'univers manga déjà passionnant. Préface et Avant propos accompagnent les histoires. Chouette !

FG 


Une chouette vie par Hideyazu Moto
Éditions Misma (23€) - ISBN : SBN 9782916254982

dimanche 2 juillet 2023

White Boy : petit homme blanc perdu dans un ouest humaniste rêvé

Cet étonnant et rare Strip western publié de 1933 à 1935 dans les pages du Chicago Tribune a été proposé pour la première fois en français l'année dernière dans un magnifique album grand format à l'italienne, agrémenté d’éditorial enrichissant. Une aubaine patrimoniale remarquable.

La tribu des Arc en ciel vaque à ses occupations d’indiens des plaines lorsqu’une troupe revient d’un raid avec un jeune blanc prisonnier. Celui-ci va être adopté par le chef et va devoir apprendre la langue et les mœurs de la tribu. Il va se faire deux amis : lumière d’étoile, une belle jeune squaw, et Marmotte, un jeune indien un peu obèse, pas très débrouillard. Rapidement, un troisième larron : un trappeur ayant sauvé les amis d’une attaque Sioux va intégrer la bande. Tous vont être confronté à diverse péripéties et surtout découvrir lors de la migration de leur camp une autre tribu inconnue, aux mœurs bien différentes...

Garrett Price a réalisé l'essentiel de sa carrière auprès du Chicago tribune, mais a aussi beaucoup fourni des illustrations et couvertures pour le New Yorker, dont les débuts en 1924 ont coincidé avec les siens. Né en 1895 à Bucyrus, Kansas, et fils d’un médecin itinérant dans les états de l’ouest des États-unis, il intègre le Chicago Institute of Art entre 1914 et 1916, et décroche un poste au département artistique du journal Chicago Tribune où en plus de dessins, il rédige des chroniques, dont une sur l’esprit et l’humour de l’ouest. Repéré par J. M. Patterson, son éditeur, il se voit proposer en 1924, suite à un séjour puis son installation à New York, une bande western qu’il assume en indépendant pour le compte de son ancien patron dans les pages du Dimanche du Tribune. Thématique pas si courante que ça pour l'époque dans les comics et encore moins les strips, mais il faut dire que sa jeunesse dans le Wyoming avait tout pour l'inspirer. Au Tribune, il fait connaissance avec Frank King, et devient ami avec cet auteur déjà reconnu, qui a explosé en 1921 en ajoutant un personnage d'enfant à sa série Walt & Skeezix débutée quatre ans plus tôt. On pourra assez aisément voir l'influence de ce grand auteur dans les constructions et couleurs des planches de White Boy. Son dessin aussi, un peu, pourrait-on ajouter. Il n'en demeure pas moins que ces bandes, inédites en France, dont l'éditeur a réuni ici le meilleur des planches dominicales*, ont tout du trésor déterré. Leur présentation dans un grand album à l'italienne, respectant le format des strips originaux est tout d'abord majestueux. Rares sont les bandes dessinées d'ordre patrimonial pouvant se targuer d'un traitement aussi classieux, imprimé sur un Sen Lawrence FSC de 150g. On l'a dit : le dessin de Garrett Price rappelle beaucoup celui de King, tant dans les formes que les attitudes des personnages, mais on remarquera néanmoins un traitement beaucoup plus dynamique des pages, l'action de ce western saugrenu mais pas tant que ça étant parsemé de beaucoup d'actions, de mouvements. Une des scènes les plus extraordinaires à ce sujet étant la tentative d'enlèvement de Lumière d'étoile par les Sioux, (planche du 26 novembre 1933), correspondant à la page 9 de l'album. Une scénographie et une succession de cases particulièrement violentes, où la jeune indienne est désarçonnée du cheval où elle est en croupe à l'arrière avec son ami, puis tirée par les tresses, quasi écartelée entre deux chevaux au galop. Avant que l'indien responsable, contorsionné dans une pose anatomique puissante rappelant des tableaux de Delacroix, soit tué par balle et après que la chevelure de lumière d'étoile ait été tranchée par elle afin de se libérer.


La page du 08 avril 1934, évoquant le raid dans la tribu sioux, de nuit, là encore convoque la peinture et la gravure dans au moins deux superbes cases crépusculaires, dont une géante. Un passage de la troupe d'amis, deux pages plus loin, sous un couvert de petits arbres aux feuilles d'or, tout comme les scènes du feu de plaine, se terminant sous un amoncellement de nuages noirs, évoque là encore fortement les beautés formelles et poétique de Walt & Squeezie. On arrêtera là la comparaison, car Garrett Price mélange trois aspects très marquant dans sa série : 

- Le documentaire, d'une tribu Arc en ciel dans laquelle on s'invite, en même temps que ce White Boy devenu très vite l'un d'eux.
- L'humour, tiré parfois à l'extrême limite du surréalisme.
- Le fantastique.



Des scènes de toute beauté

Sur l'aspect documentaire, peu de bandes dessinées ont réussi à évoquer avec autant de réalisme la vie d'un camp amérindien. On retrouvera même, et c'est notable pour une "antiquité" de 1933, l'allusion à l'homosexualité, (Heemaney dans Little Big Man d'Arthur Penn 1970), ou à "l'inversion" (Quatre doigts de Milo Manara, Dargaud 1982). Ici, ce sont les poèmes de l'indien Chant d'alouette.
Au delà de cet aspect, visible à d'autres endroits, comme les raids entre tribus ou leur migration vers d'autres territoires (ces indiens des plaines étaient nomades), leurs légendes, ou bien encore la lutte territoriale des bisons, on retrouve les canons classiques d'une structure narrative séquentielle de strip, attachée à proposer en fin de chaque page un cliffhanger pour la semaine suivante. Et l'humour très exagéré, dans l'esprit du Popeye de Segar, entre autre par le truchement du petit gros indien Marmotte, puis plus loin avec le cheval à dos creux, se réparti à part quasi égale avec l'action.
Par moment enfin, le fantastique émerge, avec d'étonnant geysers faisant s'écrouler un pan de montagnes et dériver notre héros, un "fantôme" à dos de bison, une tribu étrangère inconnue, dont les traditions et la présence d'une reine blonde rappelleront les thématiques SF de Flash Gordon, pourtant à peine plus vieux puisque débuté en janvier 1934. Mais on pensera aussi et surtout au royaume des rêves (Slumberland), par lequel on arrive par un passage secret (ici aquatique) et donc au classique Little Nemo de Winsor Mc Cay, lui bien antérieur. Si ces références ne prêchent pas vraiment pour l'inventivité formelle de White Boy, on ne lui retirera pas sa modernité et son originalité, qui n'auront malheureusement pas suffit à lui assurer un succès mérité, la bande étant interrompu subitement dans son cours pour laisser la place à une suite bien plus classique. Une belle pépite issue du passé, dont les couleurs chaudes et douces, la générosité et la sincérité appellent toute notre attention. 

(*) Cette édition regroupe « le meilleur » des Sunday Pages car l’édition anglophone de 2015 propose l’intégralité de la série, à savoir les 2 chapitres suivants, un peu moins originaux, dont Skull Valley, ayant paru jusqu’à fin août 1936.


FG

Est-on à Slumberland ? 


 
White Boy par Garrett Price

Éditions 2024 (35€) – ISBN : 978-2-383870-37-1

Toutes images : ©GarretPrice Estate/éditions2024

Une étonnante modernité

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