mercredi 7 décembre 2022

Le poids des héros de David Sala nous transporte.

Traitant avec justesse de filiation, de mémoire, d'engagement, de résistance, de Shoah et d'enfance, ce Poids des héros, paru en janvier 2022, nous cueille comme le vent du soir arrache les feuilles d'automne.

Le petit David habite Lyon dans les années soixante-dix dans une famille d'émigré espagnol. La figure tutélaire du grand père maternel, dont le portrait orne le salon familial, est en passe de disparaitre (mais PAS avant Franco !), à 86 ans, atteint d'un cancer. Devenu jeune adulte,et  héritant de ses souvenirs et documents, l'auteur se décide à rendre hommage à ce résistant humain incroyable (comme son autre grand père d'ailleurs), ayant combattu Franco, puis ayant été fait prisonnier et déporté au camp nazi de Mauthausen, dont il a réchappé, avant  d'en rejoindre d'autres, français ceux là, dans le sud,  puis de terminer sa vie tranquillement, sans esbroufe, mais sans plus de reconnaissance...  



De temps en temps un roman graphique original (pas une adaptation de roman) paraît et surprend par sa force. David Sala émeut, tant dans la forme que dans le fonds, avec un album longuement mûri, dont, on le sent, il a porté durant toute sa vie les traces et les affects. C'est de culture et d'humanisme dont il nous parle ici, arrivant à exprimer, avec, paradoxalement, beaucoup de silences, le socialisme venant de la guerre, celle d'Espagne et contre l'Allemagne occupante, dont ses parents ont hérité. Comme il se plait à le rappeler : pas des communistes, mais plutôt des Libres penseurs, voire des anarchistes, plus portés à citer lors de leurs soirées : Brassens, Aragon ou le pasteur allemand Martin Niemöller avec son poème "Quand ils sont venus chercher..." David lui, peu enclin à tout comprendre à l'époque, écoute Renaud sur l'album Le retour de Gérard Lambert et lit Strange, tel qu'on peut le constater sur les cases de certaines des superbes planches aquarellées très colorées que l'artiste d'aujourd'hui nous transmet. C'est d'ailleurs un des points fort essentiel de ce dernier album, après le déjà excellent Joueur d'échecs (Casterman 2017) : sa faculté à offrir une magnificence de Camaïeu graphique coloré, digne des plus beaux tableaux et des plus belles Historietas, tel que l'on n'en voit que peu à vrai dire. Tout cela dans la lignée des plus grands artistes argentins ou espagnols, le tout en gardant une lisibilité totale sur le fonds, et en touchant le lecteur à coup sûr, tout du long. Une gageure.

...Ce Poids des héros pèse sur nos frêles épaules de lecteurs, avec une rare force vive, mais c'est avec une reconnaissance toute légère que nous le recevons pourtant. Et nous aussi dés lors nous pouvons partir, une fois seulement le livre achevé.
Un "poids" vivant, pleinement vivant ! FG
Le Poids des Héros, par David Sala
Éditions Casterman (janvier 2022)

jeudi 1 décembre 2022

We live, l'ère des Palladions : voilà le monde que nous laissons à nos enfants.

Au-delà de toute facilité et de toute attente, ce second tome d'une série amenée à devenir culte, déjoue les pronostics et pousse plus loin le challenge et la prouesse artistique.

Année 2090. Suite aux événements catastrophiques ayant déclenché l'activation de "la Frappe", balise récupérant le flot d'énergie souterrain ayant été produit par les humains et permettant de sauver une partie de l'humanité (voir chronique du tome 1), les enfants choisis ont pu activer leurs pouvoirs respectifs. Les cités reconstruites ou tenant encore debout sont néanmoins aujourd'hui protégées par des bouclier de force, car des entités monstrueuses géantes issus des sols irradiés (les "Cenotes mères", incubateurs sous terrains) sont apparues à leurs portes, menaçant la race humaine. Les Palladions - méchas avatars du groupe d'enfants - sont le dernier rempart contre cette prolifération, mais il ne faut pas que les flux d'énergie, courant au delà des dômes, et alimentant l'ensemble de ces forces, soient rompus. Deux missions de dernières chances sont lancées simultanément...

Qu'est-ce qui différencie une série de comics SF d'une autre série dans la même catégorie ? Les frères Miranda, auteurs espagnols tous deux issus du milieu culturel populaire (cinéma pour Roy et dessin pour Inaki) sont aussi passionnés par le jeux vidéo. S'ils ont déjà une carrière professionnelle bien entamée, Inaki ayant déjà réalisé de nombreux travaux pour DC, 2000AD et une belle série entre 2013 et 3015 : Coffin Hill, chez Vertigo, avec Caitlin Kitredge, c'est leur association qui les a révélé en duo avec la série We Live, nominée aux Eisner Awards en 2020. Le premier tome recueil paru en novembre 2021 chez 404 comics a défrayé la chronique, grâce à un scénario, mais aussi et surtout un ton, et une patte graphique très originale et séduisante. L'histoire de cette fratrie composée du petit Hototo et de sa plus grande sœur Tala, baignés dans la culture du super héros et des valeurs de serments, pris dans les soubresauts d'un monde qui s'effondre, a conquis un large lectorat. D'autant plus que l'univers graphique d'Inaki possède tous les atouts qu'un comics grand public peut rêver de posséder : dessin numérique précis et fluide à la fois, mise en page dynamique et aérée, scènes de combat  efficaces ne se substituant pas aux passages plus introspectifs, couleurs magnifiques...le tout au service d'un scénario puissant où l'émotion est toujours palpable. 

 
On avait laissé à la fin du premier tome, nos deux enfants rejoindre d'autres "choisis" au sein de l'arche, et on les retrouve certes un tout petit plus âgés, mais avec des responsabilités énormes, dans un monde devenu si complexe, violent et sans espoir que leur charge est quasi inhumaine. Tâchant de faire fi de ces difficultés et se rappelant leurs promesses, leurs serments, ainsi que conscients de la charge qui leur incombe au niveau du monde des adultes, qui a placé tout ses espoirs en eux, ils partent au combat, sûr de rien, et vont en baver.
"Voilà le monde dans lequel nous vivons", semblent nous expliquer les frères Miranda, qui auraient pu se contenter d'une suite tranquille à leur début de scénario de We Live. Cependant, cette vie, qu'il faut protéger, a un coût, souvent élevé, et super héros ou pas, le tribut peut être douloureux. Ayant vécu des drames familiaux durant la réalisation de cette histoire, les auteurs ont été rejoint par la réalité qui a influencé leur fiction, donnant encore plus de force à un récit déjà bourré de vérités, de sensations très humaines. Voilà le monde que nous laissons à nos enfants : une ère de sacrifices.
Un comics philosophique bourré de talents, à la très belle finition cartonnée, et donc essentiel.

FG
 
We live T2 : l'ère des Palladions, par The Miranda brothers
Éditions 404 comics (16,90 ) - ISBN : 9791032406632

Mes autres chroniques cinéma

Mes autres chroniques cinéma
encore plus de choix...