dimanche 24 mars 2019

« Come Into Me » : le viol est aussi mental !


Que se passerait-il si un laboratoire pouvait nous permette de se « glisser » littéralement dans le corps de quelqu'un ? Le trio formé par Zac Thompson, Lonnie Nadler et par Piotr Kowalski dérange, avec une mini série à tendance horrifique se déroulant dans le milieu clinique. Froid mais fascinant...


Les expériences du professeur Sebastian Quinn l'ont mené à mettre au point Inbeing, un système permettant à deux personnes de partager le même corps. Cela se fait dans un hôpital privé, avec des personnes volontaires, par paires consentantes. Or Becky, une jeune femme seule, demande à tester la méthode, moyennant une forte somme d’argent. Le professeur Quinn accepte et se propose comme « Hôte ». Cependant, Becky décède peu après d’un cancer qu’elle avait caché, tout en étant maintenue en état de coma artificiel au sein de l'hôpital. Comment les choses vont-elles alors évoluer... à l’intérieur de Sebastian ?







Les amateurs de David Cronenberg (« Videodrome »,
« Faux semblants », « Crash » , « ExistenZ »....) ne seront pas déroutés par le ton et le scénario de cette mini série. Les couvertures de Piotr Kowalsky disent d'entrée l'horreur et le malaise de ce comics alternatif. Le principe même de « connexion » du professeur, une gaine à apparence biologique, terminée par une sorte de couteau, s'enfonçant dans le tronc cérébral à l'arrière du coup, rappelle fortement le film « ExistenZ ». 



Les thèmes chers à ce réalisateur se retrouvent dans cette histoire assez glauque mais bien écrite, où le rêve d'un praticien se transforme en cauchemar éveillé. Les frontières entre réalité et perceptions de son être disparaissent, laissant la place à un déclenchement monstrueux, hors de tout contrôle. L’occasion de scènes oniriques et « psychédéliques » particulièrement saisissantes.


Si le découpage des scénaristes est suffisamment clair pour nous emmener jusqu'au bout de leur histoire, l'idée de génie du trio créatif à été de donner un aspect flou au graphisme de certaines cases, comme un scannage d'image qui aurait bougé, afin de mieux « rendre » l'effet de déphasage de la réalité. Le procédé est assez rare, voire inédit, et il confère un atout majeur au comics. On est d'abord désemparé et étonné, croyant à une erreur d'impression, puis on comprend le stratagème.
« Come Into Me » est un comics indépendant osé, dérangeant, glauque, mais réussi. Il nous permet de découvrir le travail de cette équipe d'artiste, tout comme le label Black Mask (1). À suivre donc assurément de près.

FG


(1) Black Mask studios, créés entre autre par Brett Gurewitz, Steve Niles, et Matt Pizzolo, affirment sur leur site « apporter l’éthique punk rock dans les comics. Black Mask aide les créateurs racontant des histoires incroyables et importantes



« Come Into Me 1-4 » par Zac Thompson et Lonnie Nadler (scénario), dessiné par Piotr Kowalski
Black Mask studios, 2018





samedi 23 mars 2019

« Génération Gone » : hacker n'est pas jouer !


Hi comics n'en finit pas de surprendre, proposant des titres originaux par des auteurs peu connus.
« Generation Gone » deuxième titre personnel du scénariste portugais André Lima Araujo étonne par sa maturité scénaristique et graphique.


2020 : trois copains jeunes adultes férus d'informatique passent leur temps ensemble à hacker des sites web. Leur but : être suffisamment bons pour dévaliser une banque centrale, sans être repérés. Malheureusement, un service gouvernemental militaire développant une arme stratégique ultra secrète les hack à leur tour, diffusant par le réseau un virus les affectant personnellement...


Le trait de Alès Kot surprend en premier lieu par sa texture très fine, rappelant le dessin de la série
« John Prophet ». Un style graphique un peu clinique rendant bien les atmosphères froides d'une science fiction aux environnements souvent dangereux. C'est le cas ici avec un trio constitué de Baldwin, un jeune afro américain, sportif et engagé humainement, Elena, belle jeune femme cumulant deux boulots pour essayer de contribuer aux traitements de sa mère atteinte d'un cancer, et Nick, petit ami d'Elena, solitaire introverti et psychotique. Ce dernier met déjà en danger ses amis, mais va devenir incontrôlable après leur accident.



Si le thème de super héros malgré eux fait partie intégrante de l'univers des comics, (la plupart des premiers des éditions Marvel, il faut bien commencer un jour), mais on pourra aussi citer «The Cape », chez IDW, ou la série « Heroes » de Tim Sale, bien sûr, sans oublier « Rising Stars » de Joe Michael Straczynksi, et si le cinéma avec « Chronicle » par exemple, a déjà abordé le thème et ses problématiques, André Lima Araujo insiste avec « Generation Gone » sur le malaise ressenti par les jeunes d'aujourd'hui, évoluant au sein d'une société qu'ils jugent à la fois dépassée et irresponsables vis à vis de son avenir. On a vu ces dernières semaines le déferlement dans les rues d'adolescents défendant une vision écologique plus réaliste de nos gouvernants, cela rentre en phase avec cette volonté d'agir, coûte que coûte sur le monde qui nous entoure, quitte à provoquer des catastrophes. Rien ne serait donc trop énorme pour déclencher un changement dans les habitudes.



C'est tout le propos de ce comics social et de politique fiction, qui n'omet à un aucun moment,  malgré les nombreuses scènes d'action bien menées, les relations humaines. Celles-ci sont abordées de manière très frontales et développées habilement, en prenant le temps, donnant à « Generation Gone » tout son potentiel émotionnel. On pourra lui trouver des aspects "déjà vu". Cela n'enlève rien à sa qualité intrinsèque.
Une très bonne mini série.

FG

Images : © Lima Araujo et Alès Kot/Hi comics 2019



« Generation Gone » par André Lima Araujo et Alès Kot
Éditions Hi comics (17,90 €) - ISBN : 9782378870751

jeudi 21 mars 2019

Dept H T4 : un abysse de remords pour Mia, ou la vie, tout simplement ?...


Remontée dangereuse des abysses pour une partie seulement des « naufragés » de la station Dept.H et conclusion d'un récit graphique majeur du talentueux Matt Kindt.(Lire les chroniques des précédents tomes sur BDzoom.com (1))


Mia et ces cinq co équipiers sont coincés dans un sous marin de poche échoué, en manque de batterie, alors qu'ils tentaient de rejoindre une des bases posées le long de la fosse sous-marine d'où ils tentent de s'extraire. De miraculeux petits robots en forme de crabes viennent les sauver in extremis afin de leur permettre d'avancer d'un pas vers la surface. Qui est leur sauveur, et cela suffira-t-il ? C'est l'objet de ce dernier tome, concluant en beauté une mini série haletante et bourrée de superbes moments scénaristiques et graphiques.








Lorsque l'on débute la lecture de « DeptH », il apparaît clairement et très vite que l'on a à faire à une œuvre majeure, dont les thématiques, nombreuses : enquête policière, fantastique, survie de l'humanité, recherches scientifiques, conquêtes (spatiale, marine), écologie...mais aussi le ton et la forme, laisseront des traces. Il fallait néanmoins que celle-ci se conclue afin de pouvoir confirmer ce sentiment.

Ce tome 4, regroupant les comics originaux 19 à 24, répond à toutes les questions en suspend, donne de nombreux détails sur les différents protagonistes de l'histoire, et file sans se perdre, malgré quelques flashback, vers le grand final. Matt Kindt, dans sa grande maîtrise scénaristique, continuant à nous impliquer, presque physiquement, dans le drame se jouant en direct. À cet égard, les scènes finales du dernier chapitre, que l'on ne dévoilera pas, offrent des sensations rarement ressenties dans un roman graphique, mais plutôt au cinéma. Il est quasi certain que l'oeuvre connaîtra une adaptation cinématographique d'ailleurs, tant le potentiel est fort.





Quant au dessin de l'artiste, s'il était déjà remarquable dans les précédents épisodes, on a l'impression qu'il se surpasse ici, en nous offrant un découpage hyper efficace, rendant la narration très fluide. Il se dégage de certaines cases une grande sensibilité, une grande douceur aussi. Et cela, sans évoquer leur traitement en  pleine page, dont les couvertures originales, colorisées en aquarelles, rappelons-le, par Sharlene Kindt. Ces dernières nous sont, notons-le au passage, présentées sans leur titre, en vis à vis (recto verso pour la version US) en tête de chapitre. L'occasion de se régaler,  sans compter les seize pages de sketchbook ajoutées en bonus.
Un roman graphique d'ores et déjà culte, chaudement recommandé.

FG

(1) Chroniques des tomes précédents :

Dept H T1 

Dept H T2 

Dept H T3



« Dept H T4 » par Matt Kindt et Sharlene Kindt
Éditions Futuropolis (22 €) - ISBN : 9782754822343 

mercredi 20 mars 2019

Hit Girl au Canada : piège à loup et grizzli redemption, pour une mini série coup de poing


Le personnage d'Hit Girl est bien connu des amateurs de la série
« Kick Ass » de Mark Millar, puisqu'elle en est un des éléments centraux. Dans sa série homonyme, la jeune Mindy, super héroïne ayant perdu son père, mentor dans la course contre le crime, se retrouve seule. Elle oeuvre aussi désormais au sein de mini séries parallèles, écrites par divers binômes d'auteurs. Mark Millar et Ricardo Lopez Ortiz l'ont déjà emmené en Colombie dans un premier tome, Jeff Lemire s'associe à Eduardo Risso pour la mettre cette fois-ci aux prises d'un trafiquant de drogue, dans un Canada enneigé et hostile.



Le scénariste canadien, habitué de ces contrées, (voir entre autre son excellent « Winter Road »), déroule un thriller tendu et violent, comme il était nécessaire avec cette héroïne adolescente quelque peu psychopathe. En quatre comics bien équilibrés, celui-ci parvient à nous appâter avec un récit de chasse à l'homme dans les forêts enneigées, à la manière d'un « Button Man » (« l’Exécuteur » chez Délirium éditions) mâtiné du film de Lee Tamahori : « À couteaux tirés » avec Anthony Hopkins, sans baisser le rythme ni la tension. Supporté par le dessin clair, dynamique et subtil d'Eduardo Risso, lui-même magnifié par la colorisation de Patricia Mulvihill, ce récit réussi un pari difficile : apporter une nouvelle version au genre.



On aime le ton, mix entre action et réflexions sur le sens de la vie, les moments de pause développant les relations humaines (entre Mindy et son père, lors d'une scène de coma et mouvante), ou celle avec le vieux trappeur qui la recueille, et la cruauté bien rendue de cette gamine, inhérente à la série. Le sang ne manque pas, mais l’émotion remonte à la surface souvent.
Un petit épisode au top, par un duo de tonnerre. Pari réussi.

FG



« Hit Girl au Canada » par Jeff Lemire et Eduardo Risso
Editions panini comics (15 €) - ISBN : 978-2809476347

Il n'y a pas que du sang dans Hit Girl,
mais aussi de superbes scènes oniriques...
© Jeff lemire /Eduardo Risso /Panini comics 2019



Mes autres chroniques cinéma

Mes autres chroniques cinéma
encore plus de choix...