vendredi 9 avril 2021

L'Eksploracja intime et cellulaire de Julie Michelin

C'est au sein d'une maquette superbe que se dévoile l'œuvre de science-fiction ambitieuse attachante et bigarrée d'une jeune autrice talentueuse en devenir.

Dans un futur relativement proche, des éléments de notre monde connu se mettent imperceptiblement à disparaître, comme par enchantement. Un phénomène de dématérialisation, plus ou moins naturel, semble à l'œuvre. Lorsque cela atteint les humains, une théorie scientifique est élaborée, et la décision d'envoyer un vaisseau aux confins de l'espace pour chercher les éléments d'un remède, prise. Une équipe de volontaires, dont Line et Marlène, embarque alors pour un voyage de cinquante ans terriens, missionnée pour rapporter l'Herbea Nauticeum et l'Obsidonita Kevlar, deux des matières organiques les plus stables qui, associées à d'autres, mettraient un terme à ces événements dramatiques. Une fois arrivée sur la planète inconnue repérée, rien n’avait préparé cependant l’équipe à ce qu'elle va découvrir...

La maquette de ce bel album interpelle tout d'abord : beaucoup de savoir faire dans le façonnage de cet écrin coloré portant haut l'aspect graphique. Julie Michelin est passée par les arts-déco de Strasbourg et l'EESI d'Angoulême avant d'intégrer le villa Belleville où elle anime entre autre des ateliers de sérigraphie, et cela se voit. C'est cela dit le fanzine Obsidienne Magnétite (Mégot éditions) qui la révélé en 2014 et où elle a commencé à élaborer un univers fantasmagorique. Dans Eksploracja, l'autrice prend le temps de développer son propos et les lecteurs d'Aama (Frederik Peeters), ou le Tribut (J-Marc Rochette) ne seront pas trop dépaysé quant à l'approche scénaristique débridée, s'autorisant un beau voyage dans l'espace temps, poussant cependant plus avant encore que ses collègues dans les méandres de nos esprits. L'album Crépuscule de Jérémy Parodeau (2024) et surtout son aspect graphique moderne stylisé, peut aussi se poser en référence, bien qu'il soit ici davantage ébauché, "adolescent" et que ses couleurs foisonnantes très liquides "bavent» littéralement sur les pages. Un liquide quelque peu plastique aussi, dont l'élasticité est un élément essentiel du récit, ou plutôt des êtres étranges croisés sur cette planète lointaine. «Êtres chats» se dérobant derrière une sorte de combinaison  d'invisibilité, au pouvoir de permutation et de transformation sans limites.
D'abord effrayés, puis étonnés, les terriens laisseront finalement place à de la compréhension et à de la reconnaissance, pour un sauvetage hyper symbolique. C'est en tous cas une certaine idée que chacun pourra s'en faire, car ce que Julie Michelin a souhaité nous dire, tient à la fois de l'intime et de l'universel. Une exploration des corps et des âmes, qui ne laisse pas indifférent. Un choc esthétique et philosophique.

FG




Eksploracja par Julie Michelin
Éditions l’Employé du moi (25€) 184 pages - 21 x 28 cm
ISBN 978-2-39004-078-1

Dispo                                    



dimanche 4 avril 2021

Jidéhem : Mission BX415 (Mes cases en stock 8)

Être lecteur de la revue Spirou en 1977, à l'âge de huit ans, grâce à quelques numéros d'époque de la revue, donnés par un gentil voisin, et par le biais de reliures d'une bibliothèque de camping savoyarde bien achalandée - j'y reviendrai - a permis à l'enfant que j'étais d'être familiarisé assez tôt avec le dessin de l'école de Marcinelle, et en particulier celui de Jidéhem, qui était présent dans la revue avec l'animation de la chronique auto Starter, et ce depuis 1956.  Il proposait cela dit aussi son héroïne Sophie depuis 1961, des collaborations publicitaires, des décors de nombreuses séries dont Spirou, du Natacha, des planches de Gaston, et en 1979, je succombais au retour de son personnage fétiche Ginger, créé en 1954 pour la revue Heroic (1), héros que je suivis avec avidité au mitant de ces années quatre-vingt. C'est pourquoi, lorsque vers 1985-86, mon père, comprenant ma passion insatiable pour la bande dessinée, me fit part de sa possession d'un album collector de l'auteur, l'adolescent que j'étais tomba des nues. Mon père avait en effet débuté sa carrière en 1960 chez Berliet, à Venissieux, - avant de quitter cette ville en 1972, et définitivement la Savoie-Isère d'où il était originaire et où il avait rencontré ma mère, pour rejoindre Roanne (42) où il fit toute sa carrière comme professeur automobile au lycée Carnot - et profita donc de la campagne de communication exceptionnelle de l'entreprise lancée en 1964 : la fameuse bande dessinée Mission BX 415. 


L'entreprise Berliet, créée en 1899 et basée à Vénissieux (69) fabriqua d'abord des voitures, jusqu'en 1939, année où elle se spécialisa dans le véhicule industriel. Entre 1950 et 1974, l'entreprise connue une forte expansion. Elle répondit aux besoins de la reconstruction et du développement des infrastructures en France. Elle élargit sa gamme de produits, misa sur l'innovation, conquis des marchés à l'international. Ses effectifs passèrent de 6 800 en 1951 à 24 000 en 1974 et la cadence quotidienne de fabrication de 17 à 140 véhicules. La marque Berliet devint synonyme de qualité. Au cinéma, en 1964, le titre du film d'Henri Verneuil 100 000 Dollars au Soleil fit référence à un camion neuf, volé par Belmondo. On y voit notamment : un GBC8 6×6 Gazelle (conduit par Lino Ventura – alias Marec, dit « le plouc »), un TLM10M2 flambant neuf, enjeu du film (conduit par Jean-Paul Belmondo – alias Rocco), un TBO15 (conduit par Bernard Blier – alias « Mitch Mitch » (d'après page Wikipedia.)

C'est cette année-là que Berliet choisi l'auteur vedette de la rubrique Starter pour dessiner l'histoire de la plaquette promotionnelle éditée par la société. Une brochure de 20 pages couleur, agrafées, écrites par Jo Almo (dit Pipette) célèbre maquettiste de véhicules pour Franquin, entre autre, mais aussi décorateur et co-scénariste,  passionné de véhicules. Un équipier de choix pour ce travail. 


L'histoire est un vrai polar surfant sur le succès du film d'Henri Verneuil. Il met en scène Jo Ribelet, un jeune enquêteur, contacté au téléphone par Mr Palmaire, ingénieur aux usines Berliet. Celui-ci vient de se faire voler les plans d'un moteur révolutionnaire, désignés sous le code BX-415. Arrivant sur place, notre héros ne peut que constater la disparition de l'ingénieur, kidnappé par des malfrats qui l'embarquent vers Kharburan, une ville (imaginaire) du moyen Orient. Tout au long de se poursuite, jusque dans le désert où il débusquera la bande et récupérera les plans, JO va être amené à emprunter ou se faire conduire dans des véhicules de marque Berliet, dont on ne pourra que vanter les mérites. Que ce soit un Gak, un 320cv,  un Tak avec porte fanion, jusqu'à un Aurochs de l'armée, véhicule amphibie, sans compter les véhicules de pompier équipant la ville de Rahad-loquoum où se termine l'histoire. 30 pages dynamiques et funs, très colorées, dans la grande tradition belge de Spirou, où le duo de Starter s'en donne à cœur joie.

Après un essai raté de mon papa avec un exemplaire offert des "Cosmocats" décevant (2), l'adolescent que j'étais pouvait-il rêver plus beau cadeau ? C'est en tous cas aujourd'hui, quelques 35 ans après avoir hérité de celui-ci, que je rends hommage à mon père : Paul Guigue, décédé le 28 mai 2003, à l'âge de 63 ans, mais aussi au talentueux Jidehem, qui nous a quitté le 30 avril 2017. George Salmon étant décédé lui, dix ans plus tôt.

FG


(1) http://bdzoom.com/112285/patrimoine/jidehem-le-deuxieme-homme/

(2) Un comics dans le pif : l'objet d'un travail d'écriture de/pour ma fille Flora, alors en classe de 3eme au collège de la côte roannaise. ("Raconte-moi..." brochure éditée suite à l'atelier d'écriture animé par Valérie Mattelin, Renaison 2014).
 

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