vendredi 23 septembre 2022

Nos ombres d'Algérie : la couleur d'un pays en perspective...


Vendredi soir 23 septembre se déroulait à l'Espace Renoir de Roanne, salle classée art et essai, l'ouverture du 12eme festival BD d'Ambierle avec la projection du film Nos ombres d'Algérie, réalisé par Vincent Marie. Celui-ci était proposé au grand public après avoir été montré en matinée à 250 élèves roannais et 110 de Charlieu.
C'est la deuxième fois que Laurent Segal, co-réalisateur et producteur vient à Roanne, où il avait présenté en 2020 le film La colline aux Coquelicots traitant de la guerre de 14-18.
Le principe des éditions Kanari est original et de qualité : proposer une vision d'un sujet, souvent historique, mais pas que, mettant en lumière des auteurs de bande dessinée. A plusieurs voix, comme ici, ou en solo comme dans "Page 52", où feu Jean-Claude Mézières nous immergeait dans une des pages de son Valérian et Laureline en cours.

Vincent Marie filme les relations entre la France et l'Algérie avec une grande pudeur mais sans fards non plus, laissant parler les auteurs, tous ayant une relation intime avec le pays et où la guerre, par le biais de leurs familles. Qu'ils soient "pieds noirs" comme Jacques Ferrandez, (originaire via ses grands-parents à la fois d'Alsace et d'Afrique), Jeanne Puchol, dont les parents venaient d'Algérie, tout comme Jöel Alessandra, ou algérien comme Mourad Boudjellal ou Kamel Khélif. Quant à Gaétan Nocq, il interview et a adapté en bande dessinée le parcours d'appelé d'Alexandre Tikhomiroff, fils d'émigré russe et de mère castillane ayant écrit à 21 ans "Une caserne au soleil" (l'Harmatan) sur son expérience lors de la guerre d'Algérie. Il nous emmène aussi au camp de rétention de Rivesaltes, dans les Pyrénées orientales, où un superbe musée propose de rendre tangible la vie dramatique de milliers d'immigrés passés par là entre la guerre d'Espagne et celle d'Algérie, sans occulter la seconde guerre mondiale. 

© Kanari Films, 2022

Les témoignages dans leurs ateliers ou en extérieur, de ces hommes et femmes artistes, sont émouvants, car le réalisateur, ayant gagné entièrement leur confiance, recueille leurs souvenirs - cela confinant parfois à la limite de la psychanalyse - certains les évoquant d'aileurs tout en dessinant. Mourad Boudjelal aborde de son côté la relation à "l'arabitude", comparant son statut à un immigré africain arrivé récemment dans sa ville. Un simple "bienvenue en France" à l'attention de ce dernier le fait se sentir alors français, alors qu'il s'interroge sans cesse sur sa propre identité. Rarement la bande dessinée n'est filmée avec autant de vérité et de rapport à l'intime, mais aussi à la matière (il faut voir les travaux de Kamel Khélif, dont l'encre délavée fait apparaître ses œuvres, comme par magie, telles des daguerréotypes), ou le témoignage de Jeanne Puchol expliquant l'attrait du noir dans une représentation des actes violents intervenus lors des évènements policiers du métro Charonne le 08 février 1962 à Paris (1). Les aquarelles majestueuses de Jacques Ferrandez ou Joel Alessandra (expliquant l'importance des tons de couleur), apportant la lumière nécessaire à ces évocations d'un pays meurtri, aux passages d'histoire tabous, mais qui continue à inspirer les artistes, comme aux premiers jours... de conquête.

Un film beau et émouvant, à retrouver en DVD. 

 

 Alger vu par Jacques Ferrandez

 

La séance a été suivie d'échanges avec Laurent Segal et Jeanne Puchol, cette dernière se prétant avec grande gentillesse au jeu des dédicaces. (Photo ©F.Guigue)

(1) Dessins à retrouver dans Charonne- Bou Kadir (éditions Tiresias, 2012)








Fiche technique
Nos ombres d'Algérie
Documentaire 52 minutes – 2022
HD – 16/9
En coproduction avec France Télévisions
Avec la participation de TV5 Monde
Avec le soutien du CNC, de la Procirep et de l’Angoa, du ministère des Armées – Secrétariat général pour l’administration – Directions des patrimoines, de la mémoire et des archives, de l’ONACVG et de l’Institut français en Algérie.

https://www.kanarifilms.fr/


dimanche 18 septembre 2022

La revanche des bibliothécaires, de Tom Gauld

Revoilà l'écossais Tom Gauld avec un petit bijou d’humour, recueil de strips consacrés aux livres, aux auteurs, et...un peu aux bibliothécaires.
So british !?

"On les croyait vaincus, mais on les avait seulement repoussés sous terre. Puis un jour, les bibliothécaires revinrent...dotés de compétences organisationnelles supérieures, ils s'emparèrent rapidement du pouvoir. Chaque bâtiment devint une bibliothèque, chaque mur une étagère, chaque passeport une carte d'abonnement. Le monde entier fut structuré sur le système de classification décimale Dewey. On aurait jamais du déconner avec les bibliothécaires..."
"Chut !"


C'est sur ce constat ironique et à l'humour ouvertement troisième degré que Tom Gauld ouvre son nouveau recueil de strips. Ceux ci étant méticuleusement réalisés chaque dimanche dans le cahier littéraire du quotidien anglais The Guardian. Si la communauté des bibliothécaires donne son titre à ce beau volume in Octavo cartonné de 160 pages, ils ne sont pas les seuls à en être le sujet, bien au contraire. Et ils ne sont pas vraiment "moqués", cela serait d’ailleurs ne pas rendre justice à la finesse de l'auteur, qui se sert exquisement de sa connaissance du milieu de l'édition, pour s'amuser et nous amuser avec des pensées anecdotiques pleine de saveurs. Les auteurs par contre n’étant pas les derniers dont il se moque gentiment ; bien qu'à ce jeu là, les éditeurs passent aussi de nombreuses fois pour de vrais goujats. Deux couples de fermiers observant d'une colline quelques personnes rassemblées plus bas dans un grand enclos, se mouvant au sein de tables et de chaises : "on est en mars Brian, et aucun d'entre eux n'a envoyé le moindre chapitre à son agent. On aurait du s'en tenir aux vaches". (Un point.)
Autre strip : une femme s'adressant à son mari, une feuille en main et ayant lu le texte manuscrit écrit dessus : " ...un monstre informe, tout droit sorti de l'ombre qui jacasse horriblement dans une langue chaotique et inintelligible "
- j'en ai la chair de poule, dit-elle.
Mais tu n'écrivais pas  un roman d'amour
?
Lui : - C'est le cas. C'est l'avis de mon éditeur sur le manuscrit ". (Égalité).



Tom Gauld nous offre aussi l'avis des livres eux-mêmes, comme dans ce strip façon Contes de la crypte, nous montrant l'intimité d'un papa livre avec ses deux enfants, dont l'histoire du soir se termine par le pilonnage d'un ouvrage, comportant des coquilles... Les acheteurs compulsifs ou collectionneurs sont aussi brocardés, comme Les différents genres d'écriture, abordés brillamment, permettant des clins d’œil à de nombreux noms fameux du policier, de la poésie, de la science-fiction, du roman d'amour, de la philosophie. Des jeux sont même proposés :  suggestions de rééditions improbables (« Avec de plus modestes ambitions », « les livres d'images pour milliardaires », ceux « audio soporifiques pour insomniaques »...), ainsi que des générateurs de romans thématiques. 

 

Bref, si Tom Gauld a été révélé depuis 2005, entre autre aux États-Unis grâce à la revue spécialisée Kramers Ergot, son premier petit roman graphique Vers la ville a été proposé en France dès la même année chez le petit éditeur Bülb Komics. Depuis, l'éditeur l’Association a proposé Goliath en 2013 avant que les éditions 2024 ne l'invitent dans leur catalogue. C'est donc son septième album français, et il fait partie de ces auteurs dont on n'hésite pas à prêter le dernier ouvrage tant il est attachant (et toujours de petite taille), à sa famille ou son meilleur ami. Et vous, resterez-vous sans un livre de Tom Gauld dans votre bibliothèque ? 

FG

Toutes images : photos d'après le livre © Tom Gauld/éditions 2024

La revanche des bibliothécaires, de Tom Gauld
Éditions 2024 (17€) - ISBN : 2383870234



mardi 13 septembre 2022

Nekradamus, une série d'Oesterheld et Horacio Lalia inédite en France

Nekradamus (ou Nekrodamus en espagnol) est une série fantastique horrifique créée par les auteurs argentins Hector Oesterheld et Horatio Lalia (dessin) en 1976 dans la revue argentine Skorpio. Elle a été proposée dans la version italienne de la revue en 1978, à partir du numéro 45 (décembre 1977) et annoncée dans le précédent sur deux pages. Le personnage principal, un démon, ayant un bossu défiguré : Gor, fossoyeur de son état, à son service, dans un cimetière du XVIIIème siècle, prend dans le premier épisode, l'apparence d'un jeune et beau noble venant de mourir. Tous deux vont être amenés à chercher fortune dans le monde des vivants. Si Nekradamus ressemble physiquement au personnage de Janus Stark, c'est bien les ambiances sombres et horrifiques qu'Horacio Lalia développera plus tard en adaptant les grands auteurs fantastiques (Lovecraft, Poe, traduits chez Albin Michel), qui font l'intérêt de cette série, inédite en France.
40 épisodes ont été réalisés entre 1976 et 1981 dans la revue. Carlos Trillo, Guillermo Saccomanno et De los Santos ont succédé à Oesterheld au bout de la première année, jusqu'en 1978, avant que Ray Collins n'assure à son tour le scénario entre 1981 et 1982, puis qu'il ne laisse sa place à Gustavo Slavich en 1989.


Un bel album de 270 pages, entre autre, a été édité en Argentine en 1993 avec nos deux premiers auteurs originels (d'autres éditions italiennes de poche existent ainsi qu'une réédition numérique Argentine chez Ediciones Record (http://edicionesrecord.com). Aussi, quand pourra t-on lire ce petit trésor chez nous ? Editions ILatina, ou Mosquito, on compte sur vous ! ;-)

Ci-dessous, petits chanceux, rien que pour vous : l'annonce du numéro 44 de Skorpio, en plus de la couverture et de la page titre de l'album argentin, en ouverture de note.
 

 
> Lire l'intégrale (en italien) des 188 pages de l'album numérique publié par un blogger à partir de ses numéros de Skorpio sur Archive.org : https://archive.org/details/Nekradamus/page/n1/mode/2up

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