Jacques Martin, Ferry, Patrick Weber
Casterman
13 Mai 2009
La parution d'un Alix est toujours chose attendue, surtout lorsque que l'on est fan et suit la série depuis de nombreuses années.
Mais ... "qui aime bien châtie bien" on le sait.
Aussi, voilà après réflexion une critique de cet album tout chaud.
Tout d'abord, la couverture :
Il s'en dégage un je ne sais quoi d'ambivalent. D'un côté une atmosphère mystérieuse, plutôt bien rendue par l'attitude craintive de nos deux héros ligotés et l'agressivité et la détermination apparentes des celtes tirant sur les liens. Une mer agitée et un ciel sombre en arrière plan renforcent l'inquiétude.
De l'autre, un druide au look très "Panoramix", peu dérangé apparemment par cette violence, ainsi qu'un visage d'Alix assez peu habituel en terme de dessin il faut le reconnaître, éléments qui "cassent" quelque peu la scène.
D'autant plus que c'est Enak qui est au premier plan, avec une couleur de Geai dans les cheveux et une position centrale de sa tête qui attirent obligatoirement le regard. La masse bleue de sa tunique oriente aussi l'oeil sur lui.
Le fait qu'Enak soit ainsi mis en avant n'est pas dû au hasard. On va voir qu'au delà de cette "mise en bouche", notre second héros va prendre une place particulière dans ce nouveau récit.
Mais la poésie ?
Celui-ci débute à brûle-pour-point avec ce texte : "Après une longue marche, la troupe commandée par le centurion Caius Curion parvient devant une immense forêt armoricaine dont la généreuse frondaison paraît s'étendre à l'infini".
On a été habitué à des histoires ne se suivant pas directement dans la série d'Alix, mais la formulation souvent poétique de textes d'introduction permettait de créer une sorte de "Palier" entre chacune, nous resituant dans tel ou tel nouveau contexte.
Ici, on est quand même interpellé par la brutalité du saut (mental) que l'on doit opérer entre l'Alexandrie du précédent album ("Le Démon du Pharos") et l'ambiance romaine guerrière d'une troupe pénétrant dans une forêt celtique.
Premier malaise qui, une fois le regret des poésies martiniennes de la grande époque passé, se dissipe avec l'arrivée de l'inquiétude d'Enak. On comprend à cet instant que le danger va venir des arbres et que oui, Enak va certainement jouer un rôle prépondérant dans cet album. Ses attitudes cependant quelque peu enfantines (accentuées par des expressions graphiques ad-hoc) : "Alix, j'ai cru voir quelque chose luire dans le noir" (...) "Tu as vu Alix ? le sommet des arbres bouge sans que le vent se fasse entendre. Curieux !" et les réponses d'Alix, à l'inverse complètement inadaptées : "Calme toi Enak, ce type de forêt recèle des mystères que nous connaissons sans doute mal (...) " le font néanmoins passer pour un demeuré, ce qui n'a jamais été souligné à ce point auparavant.
L'auteur aurait voulu nous suggérer que l'attaque allait venir des arbres qu'il ne s'y serait pas aussi mal pris.
... Un peu facile... un peu rapide...
Un découpage trop étroit.
Le découpage des planches en petites cases de 4 bandes, au lieu de 3 dans les "classiques" martinien, et même dans "L'Ibère" accentue là encore le rendu "moderne" mais dans le sens péjoratif du terme du dessin. On croirait être en train de lire un "Vae vitcis" ou une mauvaise BD "Vécu". Je place personnellement Alix bien au dessus de la majorité de ces titres, et cela fait un peu mal, même si la politique des équipes de dessinateurs "à la chaîne", à l'image des Blake et Mortimer peut avoir son intérêt.
D'un côté cela peut permettre d'avoir moins à patienter entre deux albums, mais de l'autre, les différences graphiques sont souvent déconcertantes, et on sent bien que le temps de réflexion qui était passé auparavant par l'auteur à construire, gommer, mettre au monde une bonne histoire est maintenant diminué, de fait, puisque bénéficiant à deux albums au lieu d'un seul.
Les points positifs arrivent en page 12 avec un changement d'encrage abrupt, qui "sauve" in extrémis le dessin de cet album. Un encrage qui n'en est plus un puisque le trait charbonneux du crayon apparaît, donnant soudainement d'avantage de relief et de vie aux personnages. (*) Et c'est étrange, car c'est à cet instant aussi que l'aventure (d'Alix perdu en forêt) commence vraiment et atteint son paroxysme.
(* Encrage qui réapparaîtra au gré de certaines pages jusqu'à la fin.)
Un trait charbonneux bienvenu, et sans doute l'une des plus belles planches (ici tronquée)
Ensuite, l'arrivée dans le camp romain de Labienus et la révélation d'une malédiction qui ronge la légion isolée permet de re-dynamiser le scénario. Enak, qui était jusqu'à présent faire-valoir, va prendre alors une dimension assez inédite, jusqu'à ce que le rétablissement d'Alix retrouvé lui rende malheureusement à nouveau sa position initiale. ...Dommage. Il y avait là un élément intéressant à développer.
La capture du duo d'amis et leur mise en danger réelle permet néanmoins d'apporter une pincée de tragédie supplémentaire peu commune.
Un Enak combatif et motivé ... jusqu'au retour d'Alix !
De l'Aventure bon sang !!
J'avais déjà critiqué sur "Le Démon du Pharos" la tendance à traiter d'avantage l'histoire d'un point de vue documentaire et à laisser un peu de côté l'Aventure.
On va retrouver ici et de la même manière ce principe :
Description de la vie des Celtes, de leurs croyances, les conflits politiques qui agitent leur tribu, tout comme leur culture.
A ce sujet, l'épisode des rouleaux de parchemin tenus cachés dans la bibliothèque de Méléda tombe comme un couperet documentaire, que l'on jugera soit du plus bel effet révélateur au niveau historique, soit comme une sorte d'imposture justifiant le mystère de cette île et de tout l'album...
On aura pu aussi, au passage, se gausser quelque peu de l'épisode mettant en scène la peur des celtes face à l'orage et l'éclair qui enflamme un arbre dans la forêt, permettant à Alix de s'échapper. ("Par Belenos, le feu du ciel !! ")
Cela rappelle bien sûr d'autres gaulois d'Armorique qui n'ont peur que d'une chose... c'est que "le ciel.... .... .... ..... ...."
Vous avez compris l'allusion, et le moins que l'on puisse dire, c'est que l'humour est quand même souvent déclenché dans cet album de manière involontaire, il est à craindre cependant, ...par les auteurs.
Alix ridiculisé, mais...comique !
En conclusion, et en ajoutant que la fin de la cité (bientôt engloutie d'après le titre !, mais quelle hideuse vignette en attendant !) rappellera beaucoup un autre récit dessiné traitant du même sujet (ou presque, mais en beaucoup mieux, cf. : "Bran Ruz" d'Auclair et Deschamps, Casterman 1981) on ressortira de ce 28eme tome d'Alix assez déçu, avec la désagréable impression que dorénavant, ces albums se suivront, et... se ressembleront, ..... mais... pour le pire ?
J'espère que non.
..Industrie quand tu nous tiens ! (...)
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2 commentaires:
Eh oui, l'industrie (ou plutôt le commerce) s'est emparé de cette belle série. Ce n'est pas très agréable d'écrire des commentaires négatifs sur Alix, et sur une histoire attendue depuis longtemps, mais comme tu le dis : "qui aime bien châtie bien" ;-)
Par rapport à l'encrage, c'est vrai qu'il y a des variations étonnantes. Je ne suis pas un spécialiste de Ferry, mais je n'ai pas le souvenir de silhouettes aux contours "charbonneux" dans une série comme Panchrysia, par exemple. A t-il travaillé avec des assistants ?
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