lundi 3 février 2020

Dany Mourain : la dessinatrice oubliée des « Contes de Wild Loch »



Comment mieux débuter l'année 2020 qu'avec un article patrimonial, sur un sujet me tenant particulièrement à coeur, depuis très longtemps.


Dany (Danielle) Mourain (Lacouture), née le 15 octobre 1945, est une illustratrice dessinatrice dont on trouve la trace aujourd’hui sur le web quasiment uniquement sur Bedetheque grâce à la série « Yann le migrateur », scénarisé par Robert Génin, et dessinée par Claude Lacroix sur les cinq tome parus en album chez Fleurus, entre octobre 1978 et mars 1983. En effet, si elle est créditée (au moins sur le tome 2) pour la colorisation, elle en était cependant déjà responsable sur « la Planète aux illusions » en avril 1978, dans la revue Formule 1 ayant pré publié l’histoire. Néanmoins, Dany Mourain n’est pas que coloriste, mais a été l’auteure de planches entières, dont on trouve la trace à la fois dans la revue Casimir (1), mais aussi et surtout dans la revue Formule 1.


Issue de l’école supérieure des arts appliqués de Roubaix, dont elle sort diplômée en 1963, elle enchaine ensuite avec des travaux en entreprise dans sa région, où elle officie comme designer, avant de rejoindre, de 1972 à 1973, la société parisienne Maintenon Film, entre autre connue pour ses séries « Saturnin », « Quentin Durward »...etc. C’est à cette époque qu’elle commence à publier dans la revue catholique Djin, plutôt réservée aux filles, des éditions Fleurus. Formule 1 est l’autre revue de l’éditeur, et c’est dans celle-ci qu’elle assure la colorisation de la série de Robert Génin : « Yann le migrateur », dés 1976. Elle assurera tous les épisodes.



Extraits de l'entretien réalisé avec Dany Mourain le jeudi 02 avril :

"Merci d’avoir aimé mes BD si imparfaites avec le recul. J’ai commencé chez Fleurus par hasard en participant à un concours... que je n’ai pas gagné mais qui m’a permis d’avoir des commandes pour ces journaux (Dijn et Formule 1). C’est Pierre Marin le rédacteur en chef de l’époque qui m’a mis en contact avec Robert Genin."


En 1977, elle apparaît cependant dans le numéro 50, hors « Yann le migrateur », pour deux pages et demi en couleur, sur scénario de Michel Daubert. Une scénette assez étrange : « Lavis en rosse », se moquant des rédacteurs de l’équipe, et préfigurant ce qui allait arriver ensuite.

















En effet, dans le numéro 2 de
la même revue, année 1978, une nouvelle série fait son apparition : « Les Contes de Wild Loch ». Scénario de Robert Génin (encore lui), et dessin cette fois-ci de Dany Mourain. Le style de l’artiste est très reconnaissable, et cette série fantastique, baignée d’étrange, va donner une identité et un éclairage à la dessinatrice, comme jamais. Malheureusement, aucun album ne sera jamais publié, laissant aux oubliettes du temps cette série pourtant unique, et marquante. 


11 histoires indépendantes de cinq pages chacune vont être publiées durant toute l’année 1978, et et cinq l’année suivante, soit 80 pages (plus les 2 et demi de la première histoire). Une manne, permettant de se dire que matière il y aurait eu pour imprimer un album entier. Je vous propose de détailler les titres de chaque épisode, avec leur date de parution, ainsi que le synopsis de la première, afin de se faire une idée de l’ambiance vraiment intéressante et oppressante de cette série, qui m’a personnellement marquée étant enfant. On pourrait aujourd’hui associer celle-ci à un mélange entre certains récits de « La quatrième dimension » et de « L’île aux trente cercueils », mais plus sûrement Robert Génin - déjà l’auteur à l’époque de « Yann le migrateur », série mettant profondément en valeur l’aspect étrange de la science-fiction proposée - avait semble t-il un faible pour les récits fantastiques du début du siècle dernier, tout simplement, que ce soient ceux de Maurice Leblanc, ou encore d’Alexandre Dumas. Le fait de situer son premier récit dans un pub écossais affirme aussi son désir de teinter la chose d’une ambiance « brumeuse ».


Numéro 2 du 11/01/78 : Les Contes de Wild loch 1 : La statuette maudite
« J’étais venu dans le petit port écossais de Wild Loch, poussé par je ne sais quelle intuition… mais allez savoir ce que cachent les intuitions ! »
Voilà comment commence le premier récit, mettant en scène Paul Genièvre, touriste français repérant une statuette d’ivoire sans tête dans la devanture d’une boutique d’antiquité. Demandant à l’acheter au vieil antiquaire, celui-ci lui en fait cadeau, lui confirmant qu’elle n’est faite que pour lui, mais le mettant tout de même en garde. Paul, après être à son hôtel, et alors qu’il a recollé l’objet, est agressé par un homme barbu d’âge mur, en kilt, cherchant à se débarrasser de la statuette. Celle-ci tombe, se casse, et l’homme tombe aussi, mort, en prenant alors l’apparence du vieil antiquaire. Le français retourne hébété à la boutique en courant, et tombe sur l’homme en kilt, bien vivant, qui ne comprend rien à ses dires. Seul la photo sur un vieux grimoire exposé en boutique, représentant Baphomet, le sorcier lié à la statuette, et ressemblant trait pour trait au vieil antiquaire, attire son regard et l’interroge. Retournant incrédule à sa chambre d’hôtel, nulle trace de la statuette, ni du cadavre ne subsistent…




Ce premier récit donne le ton de ce qui va suivre, et l’on comprend dés lors que le fantastique est bien le maître mot de la série en devenir. Partant d’une fait anodin, l’étrangeté et l’irréel vont apparaître, donnant du fil à retordre au protagoniste en présence.
Une sorte de quatrième dimension, à la sauce Allan Poe, vu l’époque dessinée, qui pourrait correspondre. Le dessin de Dany Mourain, à première vue, n’est pas des plus élégants. Si l’on regarde de près la première case, son trottoir semble avoir été dessiné par un amateur, et la perspective est hasardeuse. Son encrage, laisse aussi à désirer, puisque seuls quelques zones semblent avoir été appuyées au feutre fin, tandis que le reste des cases est colorié avec ce qui semble être du crayon de couleur. Cela donne néanmoins un style très étrange, participant à l‘ambiance éthérée et mystérieuse de l’histoire. De fait, à chaque numéro, jeune lecteur, je guettais le prochain épisode. Le style évoluera un petit peu et assez rapidement, accentuant l’encrage.


Dany Mourain : "J’avais déjà oublié une partie de tous ces détails. A cette époque l’essor de la BD adulte et le déclin de la BD jeunesse ont donné un tournant différent à ma vie. J’ai ensuite beaucoup travaillé pour l’édition scolaire maternelle et primaire en illustration puis en maquette (ce que je fais toujours). L’illustration est devenu pour moi une occupation personnelle (donc non rémunérée !) et la découverte des outils numériques m’enthousiasme. J’illustre des petites rubriques sur Facebook.
Quelques précisions techniques : à l’époque je faisais mes BD directement aux feutres de couleur sur du papier bristol ce qui donnait ce tramé, et sur des très grands formats. Ensuite, pour des raisons économiques les journaux ont voulu des formats réels et en noir et blancs ; on colorisait sur des « bleus » donc une technique totalement différente qui a mis à mal le style que j’avais à l’époque. C’est un très grand plaisir de reparler de tout ça". (Entretiens du 02 avril 2020 Ndla)

Détail des épisodes :

N ° 7 Les contes de Wild Loch 2 : Le retour du Flying Arrow
N11 Lcdwl 3 : La Fille de la mer
N17 Lcdwl 4 : Le visage inachevé
N21 Lcdwl 5 : Le visiteur
N24 Lcdwl 6 : Le poids d'une ombre
N28 Lcdwl 7 : La fée des Moorlands
N31 Lcdwl 8 : La Main
N37 Lcdwl 9 : Le vaisseau fantôme
N41 Lcdwl 10 : Kitty
N48 du 29/11/78 Lcdwl 11 : Le secret d'oncle Archibald







En 1978, Formule 1 possède un format « normal », imprimé sur papier brillant. En 1979, le format de la revue change, s’agrandit, et le papier devient papier journal.
C’est l’anniversaire des cinquante ans de Coeurs Vaillants, et la revue arbore fièrement ce « sous titre » désormais, et ce durant toute l’année. Au numéro 40 (du 03 au 09 octobre), 16 pages en cahier placées à l’intérieur, pliées, font leur apparition, reproduisant des séries anciennes ayant fait la gloire de la vieille revue. On retrouve, dans la partie normale, Dany Mourain et sa série dés le numéro 1, et la couverture, avec une vignette, mais les épisodes vont s’espacer, puis disparaître. La série est alors placée, comme à son habitude, en avant-dernière, avant Jane Holme, à ce moment-là.

#1 Janvier 1979 Lcdwl 12 : Les Fleurs du temps (+couv)
manque # 3,4,5 (y a t-il eu des épisodes?)
#6 Lcdwl 13 ? : Le Talisman
#10 Lcdwl 14 ? : Le Tableau (+ couverture)
#20 Lcdwl 15 ? : To Be or not to Be
#35 Lcdwl 16 ? : Les Trois jeunes filles

Maj du 23 décembre 2020 : Dany Mourain elle-même me livre la liste des épisodes manquants suivants, avec leur date de livraison au journal (reste à remettre la main sur les numéros, cela viendra) :
-
Lcdwl 17 ; 10/08/1979 : L'experience de lord Kartfield
- Lcdwl 18 ;17/09/79 : La Poupée
-
Lcdwl 19 ; 14/11/79 : La Pierre philosophale
- Lcdwl 20 ; 03/12/79 : L'île des fantômes
- Lcdwl 21 ; 14/01/1980 : l'Affiche
- Lcdwl 22 ; 14/01 : Des bulles dans un aquarium


Sauf manque et erreur, aucun portrait ni annonce ne sera venu présenter la dessinatrice, comme cela a pu être le cas à certaines occasions, et la série, ainsi que son auteure, disparaissent des colonnes du journal, définitivement.
Dany Mourain fait partie de ces dessinateurs oubliés du monde de la BD, qui ont ravi des milliers de lecteurs dans les années soixante-dix, mais n’ont pas atteint un public plus large que celui de cette revue. Peut-être qu’un projet d’édition de ces récits fantastiques (au Coffre à BD ?) permettrait de lui rendre l’hommage qu’elle mérite. Je suis partant. Merci à elle, en tous cas, pour sa gentillesse et sa passion. 


Franck GUIGUE




(1) Casimir :
D
e 1976 à 1982, le personnage télévisé de Casimir vit des aventures en bandes dessinées dans Le Journal de Casimir de l'Île aux Enfants (TF1 Telecip Belokapi, apparemment 45 numéros d’après mes recherches). En 1979, parmi les dessinateurs « maison », dont Anne Hofer, Dany Mourain propose quelques planches. On la trouve entre autre dans les numéros 42 (Casimir le monstre gentil ! , une histoire complète en 4 planches couleurs. Scénario : Gérard Camoin, encrage et couleur : Dany Mourain, mais aussi dans le numéro 44 (épisode : Casimir aux sports d’hiver, 4 pl. couleur)Attention, cette revue est à ne pas confondre avec l’autre titre « le Journal de Casimir » (Dynamisme Presse, maison d’édition ayant exercée de 1975 à 1984).
Planches du n° 43 ©Dany Mourain/Journal de Casimir 1979


Journal de Casimir 44 © Dany Mourain 1979

Autres traces bibliographiques : 

« Attrape-moi ! » (1990) Paris : Magnard , 1990

« Qui veut mes chapeaux ? » (1991) Paris : Magnard jeunesse : Mango , cop. 1991

« 3 R pour réussir » tome 38 et 39 - lecture de Dany Mourain, avec Catherine Vialles

 (éditeur Vuibert, collection : 3R pour réussir (1994)

« Jean-Baptiste de la Salle » Dany Mourain, l'Atelier, 1993




Aucun commentaire:

Mes autres chroniques cinéma

Mes autres chroniques cinéma
encore plus de choix...