samedi 6 mai 2023

Interview Romane Granger et Valentin Giulli : tout sauf Réalistes !?

Romane Granger et Valentin Giullli font partie des derniers jeunes auteurs à avoir été accueillis au sein des non moins jeunes éditions Réalistes fondées en 2019 par Ugo Bienvenu, Charles Ameline, et Cédric Kpannou. Ils étaient présents à Angoulême ce début d’année afin de présenter leur petits ouvrages 107 x 148 mm à rabats, typiques de la collection N2. Interview pour PlaneteBD.

 

Photo © Franck Guigue, pour PlaneteBD

Bonjour à tous les deux. Merci de me consacrer ce temps pour PlaneteBD. On va commencer par Romane si vous voulez bien, et puis on alternera en fonction. Romane, tu travailles habituellement dans le milieu du dessin animé et as suivi un cursus de graphisme, mais pas spécialement en bande dessinée. Comment es-tu venue à travailler sur ce roman graphique ? Et cela s’est-il fait en parallèle de ton travail habituel, ou as-tu bénéficié d’une « pause » pour cela ?

Romane Granger : non, c’est ça. Ma première formation après le bac était un BTS en Design graphique, même orienté en publicité. Comme j’adorais dessiner, le rêve ultime était de faire de la BD et des films, mais il fallait bien manger. Après, j’ai pu entrer en équivalence aux Arts décoratifs de Paris, option cinéma d’animation (quatre ans), et c’est lors de ma dernière année, qu’Ugo Bienvenu m’a contacté sur Instagram (on a des amis en commun) et m’a proposé de les rejoindre aux éditions Réalistes.

Tu étais sur d’autres travaux et tu as fait une pause ?
Romane Granger : je suis sorti de l’école et ai commencé à réfléchir à une BD. Ce qui est bien dans l’animation, c’est que lorsque l’on a fait nos heures, on touche notre chômage. C’est ce qui m’a permis de travailler sur ce projet.

Et pourquoi pas un film ?
Romane Granger : j’avais déjà l’histoire en tête effectivement mais lorsque Ugo m’a proposé un album… Et puis en termes de budget, c’est une autre problématique.

Ta narration et le sujet de l’histoire sont très maîtrisés et avec un confort de lecture très appréciable, avec une ambiance fantastique ou en tous cas limite surnaturelle, sur laquelle tu joues d’ailleurs. Est-ce que la narration graphique t’as posé un quelconque problème, comparé à tes travaux habituels, ou cela s’est-il fait assez naturellement ? Et cette appétence pour la bande dessinée vient d’où ?

Romane Granger : si j’aime beaucoup la BD, c’est surtout depuis petite le fait de raconter des histoires, mais le découpage a été un peu... difficile. Je me suis posé beaucoup de questions. Je n’avais jamais fait aucune planche. J’en ai profité pour relire l’Art invisible de Scott Mc Cloud, une référence dans le domaine.

Comment travailles-tu ?
Romane Granger : je commence à faire un brouillon sur carnet et après je passe très vite sur ordinateur. Je m’étais posé la question d’un travail plus classique, mais j’ai préféré faire ce que je maîtrise le plus.

La collection des éditions Réalistes est-elle contraignante ou au contraire, t’es-tu retrouvée assez facilement dans ce genre de maquette ?
Romane Granger : Justement, sur ce que l’on disait au sujet de n’avoir jamais fait de BD. Le fait que ce soit un petit format, je me suis vite orienté sur les deux cases par page.

Charles Ameline : c’est marrant parce qu’en fait, à plusieurs moments, elle s’émancipe de ça. Au fur et à mesure, elle s’approprie le format, le code.

Romane Granger : oui, et dés le début je me suis dit, il faut tout de même jouer avec l’objet. Donc au milieu du livre, toutes les cases se font aspirer.

N’est-ce pas le propre de la ligne éditorial des éditions Réalistes que d’aller chercher des jeunes diplômés, qui amènent de la bande dessinée là où on ne l’attendait pas ?
Romane Granger : en tous cas cela donne l’opportunité à de jeunes auteurs de faire de la bande dessinée, sinon, je n’y serais sans doute pas venu.

Valentin Giulli : moi non plus !

Charles Ameline : Pour le coup, le format aide. Contraignant mais moins intimidant. Cela limite les choix.

L’acheteur aussi s’engage moins, non ?
Charles Ameline : pour le coup c’était un truc complètement volontaire. C’est une petite collection qui coûte moins cher, donc populaire, et aussi de se dire « je ne connais pas Romane Granger, mais j’aime bien Ugo Bienvenu, donc, c’est un livre que je peux tester. Une sorte de collection découverte. Comme Pattes de mouche chez l’Association.

Ou BN2 et Sous Bock chez Jarjille !
Charles Ameline : souvent chez les animateurs, ceux-ci ont été tellement formés à copier, qu’ils ont du mal à trouver leur propre voie. Et là, on est plutôt satisfait.


Le choix des couleurs a t-il été entièrement le tiens ?
Romane Granger : il me semble que lorsqu’Ugo m’a fait la proposition, il m’a tout de suite demandé à utiliser de la couleur, parce qu’il aimait bien mes travaux. Le orange/rouge un peu fort évoque l’oubli en l’occurence, ici.

Pour revenir sur l’aspect fantastique, on sent assez nettement une construction en deux partie dans le récit, avec tout d’abord une enquête partant vers le glauque, ou l’horreur ; on s’attend d’ailleurs à des choses un peu horribles… Comment cette idée de perles gérant les souvenirs t’est-elle venue ?

Romane Granger : En fait, ça vient d’une anecdote personnelle. Ca va paraître un peu bizarre. Depuis que je suis petite, j’ai moi-même une formule magique que je pratique. J’ai l’impression que des gens regardent le film de ma vie en continu, et j’ai envie de faire des Cuts (les moments pas sympa) et j’ai cette formule. Je pensais depuis des années à le faire en histoire. Et peut-être qu’un jour, quelqu’un me dirait « ah, moi aussi je fait ça !? ». Ca, ça concerne la formule « Erazed Erazed », mais concernant les perles, c’est venu pendant l’écriture du livre. Pouvoir retrouver les souvenirs sous forme physique... une sorte d’huitre.

Charles Ameline : cette idée venue en cours a influencé la figure du cercle, le fait de ressasser...

Combien de temps as-tu mis pour élaborer le livre ?
Romane Granger : Deux ans. En travaillant à côté. Et vraiment - seulement le dessin - entre cinq et six mois. Le matin je faisais les brouillons dans le métro, le soir les clean à l’ordinateur, le weekend aussi, et durant les périodes de chômage, j’étais aussi à fond dessus.

L’histoire bascule ensuite sur une sorte de dénonciation bien plus « réaliste » au final, posant certaines questions. On reste d’ailleurs un peu estomaqué et choqué à la toute fin. Peux-tu nous en dire un peu plus sur le sujet de fond de cette conclusion, au-delà de la thématique sur les sectes, pour lequel on embarque au départ ?

Romane Granger : sur la thématique principale je me suis un peu posé la question. Le vrai thème, c’est le traumatisme que l’on peut subir dans l’enfance. On comprend à demi mot d’ailleurs que là, il s’agit d’inceste, mais je ne voulais pas que ce soit trop évident afin que chacun puisse y mettre un peu ce qu’il veut, son propre traumatisme. Et la construction de l’identité lorsque la mémoire est remise en question. Lorsque j’ai fait les premières planches, je ne savais pas moi-même ce qu’il y avait dans le coffre. La première version était plus coutre et les questions n’étaient pas toutes résolues. On a eu de longues discussions. Ce qui m’a beaucoup débloqué sur la fin c’est le Pardon de Vladimir Jankelevitch. C’est un livre qu’il a écrit au moment où les crimes nazis allaient tomber dans l’imprescriptibilité. Il parle de comment la mémoire peu créer un pardon qui n’est pas voulu. Et ca m’a beaucoup inspirée.

Quels sont les premiers retours ?
Romane Granger : il est sorti il n’y pas assez longtemps. J’ai eu quelques messages sur Instagram qui m’ont dit qu’ils avaient été touchés.

Charles Ameline : les premiers retours de libraires, comme Aapoum Bapoum disaient que le propos devenait « vénéneux ». J’ai trouvé ça intéressant.

Ca ne met pas la pression pour la suite ?
Romane Granger : je commence déjà à réfléchir à une prochaine BD dans un coin de ma tête.


Valentin, tu as indiqué dans le dossier de presse aimer les contes ; mais je suis surpris que l’on n’y évoque pas Alice au pays des merveilles, car c’est à celui-ci que j’ai assez vite pensé en lisant ton livre. Sans doute cette course effrénée, sans réel but. J’imagine que c’est une histoire qui t’as marquée aussi ?

Valentin Giulli : en fait, j’en ai pas parlé mais ça m’a beaucoup inspiré, et encore plus le Magicien d’Oz. Le passage dans un univers fantastique. Je me suis dis : « ah, ça serait amusant lorsque le lecteur rentre dans le livre, que l’on comprenne que c’est quelqu’un qui va se plonger dans un monde devenant de plus en plus fantastique ». J’aimais bien aussi l’idée de paysages assez inquiétants.

J’avoue avoir été quelque peu déstabilisé à la fin, ne m’attendant pas vraiment à cette conclusion quelque peu ouverte, et assez abrupte. Avais-tu un synopsis très établi, ou l’improvisation, à laquelle tu fais allusion vis à vis du jazz, t’a t-elle surtout conduite ?
Valentin Giulli : alors ça m’intéressait de terminer sur quelques chose comme ça. C’est vrai que je me suis un peu laissé embarquer tout de même et les personnages m’évoquaient des idées. Aussi, au fil du cheminement, je me suis dit que c’était plus intéressant que le lecteur soit un peu déstabilisé. Je me demandais jusqu’où la ligne droite pouvait aller…

Charles Ameline : ce qui est bizarre, c’est que c’est une propre translation du parcours de Valentin. Ce que Sarah voit c’est ce que l’auteur voit, et la conclusion, « quel est le sens de ce voyage ? », c’est la conclusion : « j’ai fait cette bande dessinée ! »

Valentin Giulli : les choses sont venues comme ça et cela m’a permis de mettre au clair de ce que je pouvais me permettre de faire. L’univers que j’ai essayé d’ouvrir (les contes, la science-fiction, la fantasy, le fantastique…) qu’est-ce que j’en retirerai ? Cela va beaucoup m’aider pour la suite.


Tu parles dans la brochure de présentation de ta technique au stylo, sans crayonné la plupart du temps. J’aime beaucoup surtout les première pages introductives ou le blanc se marie à merveille avec les petites zones hachurées. C’est assez peu vu et vraiment séduisant. Cela dit, on apprécie la richesse des différentes techniques, et cela donne encore davantage d’éclat au superbes cases façon gravure comme la page 17, une des premières où l’héroïne pénètre les bois et tombe sur les chasseurs, ou encore les vues de grottes ou de rochers, avant les superbes chevaliers (page 52) et la magnifique planche monstrueuse page 58, qui explose les rétines. Cela m’évoque à la fois Gal (Les armées du conquérant, en faisant référence aux chevaliers, mais aussi Max Cabanes par certains aspects, surtout dans ses vieux travaux noirs et blancs. Je pense aussi un peu aux étranges univers du canard JuanAlberto de José Roosevelt. Connais-tu ces artistes et leurs œuvres ?

Valentin Giulli : alors, je ne connais pas les deux dernières.. C’est assez intéressant ; les espace sous terrains c’est assez fascinant. Les grottes, c’est un environnement en trois dimensions, ça m’évoque un passage dans Kirikou, où il s’enfonce et tombe sur une bête. Michel Ocelot, le conte.. J’aime aussi beaucoup Gustave Doré : la Divine comédie. Ca m’a beaucoup inspiré sur un passage. En mangas, aussi Kenji Mizuchi ou Yoshiharu Tsuge. Je me suis beaucoup amusé en hachurant et en recherchant des textures de reliefs.

Charles Ameline : ces auteurs ont les mêmes références je pense ; tous fascinés par la gravure.


L’univers des chevaliers semble aussi assez mêlé aux univers de science-fiction, avec le goût pour des appareils et cuirasse ou vaisseaux et architectures biscornus. Finalement, on sent une envie de dessiner plein de choses, de l’organique et du métal, différentes matières.. Peut-on dire que cet Horizons magnétiques est une sorte de laboratoire pour toi ?
Valentin Giulli : Vis à vis de l’animation ça permet de chercher des choses un peu différentes ; c’est plus simple de coucher des idées plus détaillées. Ce qui m’intéressait c’était l’intrusion de choses fantasmatiques ; il y a par exemple une ville avec des têtes d’oiseaux. Et le côté limite comme de gros instruments de musique et organiques.

N’est-on un peu dans Druillet, là ?

Valentin Giulli : c’est vrai qu’il y a des trucs assez impressionnant dans cet artiste ; j’en ai surtout lu lorsque j’étais adolescent. Je n’ai pas connu trop tôt.

Pour finir, j’ai été intrigué par ta recommandation musicale de l’album Flamin’Swords de Fievel is Glauque, que je connaissais pas du tout, et j’avoue que c’est excellent. Comment as-tu connu ce groupe, et quels sont les éventuels autres recommandations discographiques que tu pourrais nous faire ?

Valentin Giulli : je l’ai connu grâce à un partage sur Instagram. Le compte était dithyrambique sur cet album, et j’aime bien aussi la pochette. Cela créé un univers autour de la musique. Je conseille aussi un album de Tigran Hamasyan, un pianiste. Très mélodieux, très jazz et en même temps un peu mystique, mystérieux.

Et la scène Jazz plus classique ?

Valentin Giulli : j’aime beaucoup aussi : Bill Evans, Miles Davis, Coltrane ; j’en avais un peu joué au piano d’ailleurs.

Romane, as-tu aussi un style de musique particulier qui t’aide éventuellement à créer ?
Et une ou des recommandations ?

Romane Granger : on a tous les deux fait des playlist pour nos albums. Car on est dans une espèce de frustration, créant en silence. Les deux univers sont un peu aux opposés… Cela dit, oui, j’ai aussi une playlist qui m’a accompagné, mais je suis un peu obsessive et parfois je passe le même morceau plusieurs fois, ah ah.

Charles Ameline : on a fait un livre qui s’appelle Mallavale, (Ugo Bienvenu et Josselin Facon ) dans lequel une bande originale est associée par le biais d’un QR code. Il s’agit des compositeurs World Brain & Musique Chienne.

Merci à tous les trois.

FG 

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