mercredi 27 août 2025

Nous sommes la voix de celles qui n'en ont plus

Excellent documentaire sur le thème des collages féminicides. Un exemple réussi de ce type sous forme graphique.

Début 2019 Marseille : Marguerite Stern, inspirée par le noir du peintre Soulage, son expérience activiste chez les Femen et les grands panneaux des Suffragettes anglaises du XIXe siècle , met au point une technique militante et artistique, avec de la colle, un gros pinceau et des feuilles de papier blanc. De retour à Paris en juillet, elle va lancer un mouvement sur les réseaux sociaux afin de rendre viral la tactique, et dénoncer tous les féminicides. 2020 : Paris, Marianne, 54 ans, ayant subit une première agression à l'âge de 14 ans, traîne depuis les remords de diverses violences conjugales, subies durant deux ans, la police étant inefficace, en plus d’agressions dans la rue, parfois violentes. Des relations nocives qui la hantent, jusqu'à son premier mari, lui faisant réaliser la dureté de cette emprise psychologique. Et puis, un jour, Marianne tombe sur un groupe de colleuses de trente ans plus jeunes qu'elle. Prenant conscience de l'urgence et de l'intérêt de l'acte, elle va les rejoindre. Le 14 juillet, cependant, son groupe est interpellé par des policiers, et la situation dégénère. Quatre des colleuses sur six, dont Marianne, vont être traduites en justice. C'est à partir de cet événement, et retraçant l'histoire de ce mouvement, que les journalistes Paola Guzzi et Romane Pellen vont mener l'enquête, aboutissant à ce livre, mis en texte, dialogues et dessins par Cécile Rousset. 


Le sujet et sa couverture orange sobre mais "sèche" montrant un groupe de femmes en plein collage, peut amener un sentiment de recul au premier abord. "Vais-je adhèrer au sujet ? Ne va t-il pas être trop clivant ? » L'intérieur, avec ses dessins noir et blanc souples encrés, assez beaux et sans esbroufes, tranquillisent cependant. L'histoire commence avec le chapitre sur l'attente du procès de Marianne, en janvier 2022, où les autrices nous présentent cette femme quinquagénaire, que rien n'aurait dû prédisposer à être jugée pour de tels accusations de violences sur policiers. Puis l'illustratrice se met en scène afin de raconter sa rencontre avec les autrices. Enfin, Premier collage introduit l'aspect historique du mouvement. Suivront : Le jardin Denfert, le lieu où se réunissait le premier groupe à Paris ; L'âge d'or ; Nouveautés et continuité ; Mais que fait la justice ? ; Les messages ; La scission ; Le confinement ; Le collage de Salomé ; L’antiféminisme ; Mixité et horizontalité ; Le procès, revenant sur certains collages, les précisant, et rendant hommage aux victimes. Les derniers évoquant les dissidences au sein du mouvement, avec les interrogations sur l'inclusivité LGBTQ+, voire masculine, en son sein. La conclusion se faisant avec le verdict du procès et un texte de cinq pages de Laurène Daycard, documentariste du sujet depuis plus d'une décennie. Au delà du reportage, passionnant et captivant, même pour des lecteurs peu investis du sujet (ne sont-ils d'ailleurs pas visés en priorité ?), le traitement de Cécile Roussel impose le respect, tant il était compliqué, dans l'absolu, de retranscrire le principe de mots collés sur des affiches dans la rue, sous forme d'un roman graphique. Les dizaines d'images puissantes et évocatrices, anciennes ou plus modernes, traduisant la verve et souvent l'humour acéré de ces femmes dénonciatrices, souligne la force visuelle de l'ouvrage, lui apportant son équilibre nécessaire. Un indispensable de la BD du réel. 

 


Nous sommes la voix de celles qui n'en ont plus, par Paola Guzzi et Cécile Rousset
Éditions Actes sud BD (24,90€) - ISBN : 9782330210038



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